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TH. BERNARD. — illusions optiques de mouvement

naître lequel des deux est en mouvement. Une seule chose pour nous est certaine, le mouvement que nous percevons, c’est-à-dire celui de l’un d’eux ; et nous sommes réduits à opter, sans raison aucune, entre deux conjectures également vraisemblables. D’autres fois, nous savons très bien que nous sommes immobiles ou en mouvement ; mais nous n’en avons pas actuellement, nous en avons perdu le sentiment.

Cette sorte d’inconscience du mouvement propre est rare lorsqu’on l’exécute soi-même ; c’est le cas du piéton, du cavalier. Mais en bateau, en voiture, en chemin de fer, rien de plus fréquent. Telle doit être aussi la situation de l’aéronaute, celle des personnes qui se font descendre dans un puits de mine. Mais comment perdre, dira-t-on, le sentiment de son immobilité ? Comme, par l’effet d’une préoccupation quelconque, on cesse de penser au lieu où l’on se trouve, aux objets que l’on a devant les yeux, à ses propres sensations. Par cela même qu’on regarde fixement un objet immobile ou en mouvement, qu’on est tout entier à l’impression que l’on en reçoit, on perd sans peine le sentiment de l’immobilité, comme du mouvement propre. Dans certains cas où le mouvement considéré est très rapide, où le même aspect, la même image, disparaissant et reparaissant tour à tour, ne laisse pas un instant de repos à la vue, la fatigue de la rétine, un certain trouble de la vision et de la pensée, cette sorte de vertige que provoque toute surexcitation prolongée de la sensibilité facilitent encore ou même rendent inévitable cet affaiblissement de la conscience de soi-même, lequel ne va pas sans un amoindrissement du sentiment de la réalité et de l’activité réflexive.

Nous comprenons, si je ne me trompe, la possibilité de l’illusion ; il nous reste à en découvrir la cause. Pourquoi juger en repos ce qui est en mouvement, voir un mouvement au lieu d’un autre ? Une remarque bien simple va nous permettre de franchir ce dernier pas.

Nous jugeons constamment de la distance des objets d’après leur grandeur apparente, leur éclat, la netteté de leurs contours, le nombre et la précision des détails que nous y distinguons, et, lorsque nous nous dirigeons vers eux, nous nous en jugeons d’autant plus rapprochés que leur aspect présente ces divers caractères à un degré plus élevé. Lors donc que nous remarquons ces signes optiques du rapprochement, selon que nous nous savons immobiles ou en mouvement, nous devons croire que les objets viennent à nous ou que nous allons à eux. Si au contraire nous ignorons notre état réel de mouvement ou de repos, et que notre propre mouvement et celui de l’objet soient à nos yeux également possibles, un jugement spontané, antérieur à toute réflexion, plus fort même que