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triquement opposé au mouvement réel. Pour le mouvement en avant et en arrière, qui est le plus fréquent, les exemples qui précèdent sont suffisants. Ajoutons-en quelques-uns pour le double mouvement d’élévation et d’abaissement. Si l’on se fait descendre dans un puits de mine, on croit voir remonter les parois du puits, et de même les objets que l’on rencontre au passage. Si ces objets remontent, tandis que l’on est soi-même immobile, on croit descendre. C’est l’illusion que nous avons signalée à propos de l’ascenseur. Le cas de la chute d’une cascade est un peu différent, en ce qu’il y a fatigue de la rétine causée à la fois par la rapidité du mouvement et par la contention prolongée du regard : si l’on fixe les yeux sur le mouvement de l’eau pendant quelques instants, il semble que le sol se soulève.

3o Nature du mouvement. Le cas le plus frappant de transformation du mouvement est l’illusion bien connue à laquelle donne lieu la marche rapide d’un bateau, d’une voiture, d’un train. Si l’on considère successivement les objets les plus rapprochés, à mesure que l’on passe devant eux, et qu’ensuite on se retourne pour les suivre du regard, on cesse bientôt de les avoir derrière soi ; la ligne qu’ils suivent s’infléchit de plus en plus ; elle prend l’aspect d’une courbe, sensiblement demi-circulaire, commençant à l’observateur et allant se perdre à l’horizon à la hauteur de son point de départ ; et, comme chaque objet nouveau que l’on considère et que l’on suit du regard décrit de même un arc concentrique aux précédents et semble tourner autour d’eux, tout le côté du champ de la vision que l’on embrasse semble tourner sur lui-même.

Négligeons, pour un moment ce dernier cas. Les faits dont nous avons à rendre compte se réduisent alors à ceci : nous jugeons en mouvement ce qui est immobile et, réciproquement, immobile ce qui est en mouvement, et le mouvement apparent est symétriquement opposé au mouvement réel.

Considérons avant tout les conditions communes de ces faits ; si elles ne suffisent pas à les expliquer, peut-être nous aideront-elles à comprendre comment ils sont possibles, nous laisseront-elles même entrevoir la circonstance à laquelle ils doivent de se produire. La première est la situation respective du sujet et de l’objet. Ailleurs, nous jugeons du mouvement ou de l’immobilité d’après un point fixe ou supposé tel. Ici, point d’intermédiaire entre l’objet et nous : il nous faut juger de lui d’après nous, ou de nous d’après lui. La seconde est l’ignorance actuelle ou l’oubli momentané de notre situation réelle par rapport à l’objet. En chemin de fer, si notre train est arrêté et qu’un autre train vienne à passer, nous ne savons pas à ce moment et peut-être n’avons-nous aucun moyen de recon-