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des corps albuminoïdes sont les causes essentielles des phénomènes organiques et vitaux… » Et plus loin : « C’est uniquement dans les propriétés spéciales, chimico-physiques du carbone, et surtout dans la semi-fluidité et l’instabilité des composés carbonés albuminoïdes, qu’il faut voir les causes mécaniques des phénomènes de mouvement particuliers, par lesquels les organismes et les inorganismes se différencient et que l’on appelle dans un sens plus restreint la vie[1]. »

Le règne des protistes a permis à Hæckel d’étudier les premières manifestations de l’activité vitale, les premières transformations biologiques de la matière.

La substance amorphe, connue sous le nom de Bathybius et dont des dragages multipliés auraient constaté la présence au fond des mers, est considérée par Hæckel comme représentant l’état le plus rudimentaire de la matière vivante, et permettant de surprendre sur le fait le passage de la matière brute à la matière vivante. Cette substance première, qu’il convient de désigner encore sous le nom de plasson, ou matière plastique, étrangère encore à toute forme, est la matrice commune d’où dérivent toutes les formes. Dans son état de simplicité d’indifférenciation morphologique, elle accomplit pourtant toutes les fonctions de la vie, la nutrition et la reproduction, la sensation et le mouvement. Mais les plastidules qui la composent sont de plus douées de mémoire, comme l’avait déjà pressenti Ewald Hering dans son travail « sur la mémoire considérée comme une fonction générale de la matière organisée (1870). Cette mémoire inconsciente des plastidules détermine leur mouvement moléculaire caractéristique : « L’hérédité est la mémoire des plastidules, comme la variabilité est leur réceptivité. La première produit la stabilité ; la seconde, la variété des formes organisées… Dans des formes organiques très développées et très variables, les plastidules ont beaucoup appris et beaucoup oublié[2]. »

Il n’est assurément pas plus difficile d’admettre la mémoire des plastidules que l’âme des atomes ; mais est-ce sérieusement que Hæckel nous présente l’une et l’autre supposition comme des hypothèses scientifiques ? Que dire d’ailleurs de la théorie du Bathybius après que Mœbius a cru pouvoir ramener ce prétendu organisme à n’être qu’un dépôt gypseux d’apparence gélatineuse, aux applaudissements des naturalistes réunis à Hambourg ? Sans vouloir prononcer dans un débat où tant d’illustres savants ont émis des jugements

  1. Hist. nat., 292-296.
  2. Périgenèse des plastidules, trad. Soury.