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F. PAULHAN. — variations de la personnalité.

l’esprit peu organisés, c’est-à-dire sur ceux qui sont le plus conscients, ou sur ceux qui sont le moins profondément organisés. Il serait plus juste de dire toutefois que si la dualité se rencontre quelquefois dans l’habitude, s’il se forme même des groupes opposés d’instincts coordonnés entre eux, ces groupes sont beaucoup plus rares que ceux qui se forment dans les parties encore peu organisées de l’esprit. C’est dire que, si l’unité se trouve en nous à quelque degré, elle se trouve plutôt dans les fonctions les moins élevées de l’organisme que dans les fonctions les plus élevées, et plutôt dans le corps que dans l’âme, qui est à peu près l’opposé de la croyance généralement répandue.

Avant de résumer les conclusions auxquelles j’arrive, je désire prévenir une objection qui pourrait m’être faite. J’ai été souvent obligé d’employer des mots à double sens ou des métaphores qui peuvent être mal interprétées ; il ne serait pas difficile, par une fausse interprétation de mes phrases ou de certains termes, de m’accuser de remplacer une entité métaphysique par plusieurs entités métaphysiques. Je crois qu’il n’en est rien et que, si l’on veut se placer toutefois à mon point de vue et interpréter comme il le faut les mots ou les phrases dont je me sers, on ne trouvera rien de contradictoire dans ce que j’ai dit. Une tendance, par exemple, n’est pas pour moi une entité ; c’est un groupe de phénomènes psychologiques qui, dans certaines conditions données, en produira un autre. Cela dit, je crois pouvoir reproduire ainsi mes conclusions :

1o L’unité du moi n’est pas l’unité d’un organisme ou d’une machine dans lequel toutes les parties sont employées soit à la réalisation d’un but unique, soit à la réalisation de divers buts systématisés, et sont systématisées elles-mêmes entre elles. L’homme se rapproche de cette unité, il ne l’a pas atteinte.

2o Cette unité se retrouve à un plus grand degré dans de petits groupes de phénomènes et de tendances qui forment comme diverses personnalités dans un seul homme. Ces diverses personnalités, formant chacune un centre différent, ressemblent aux diverses personnalités auxquelles donnent naissance les amnésies périodiques. Elles se composent chacune d’une ou de plusieurs tendances dominantes auxquelles sont subordonnées d’autres tendances.

3o L’unité réelle de l’homme est le fond organique commun sur lequel reposent ces diverses personnalités, et l’unité de l’homme, qui n’est pas complète d’ailleurs, a sa cause et sa manifestation principale dans le corps et non dans l’esprit.

Fr. Paulhan.