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peut guère fixer son attention sur lui. Quand l’homme religieux domine à son tour, il ignore souvent ce qu’a fait l’autre moi pendant son absence.

Les causes de ces changements de personnalité peuvent être aperçues dans bien des cas assez facilement. Elles sont internes et externes. Les causes externes sont des changements dans le milieu ; les causes internes sont des changements dans l’organisme, qui ne dépendent pas directement des changements concomitants dans le milieu. En général, ces causes, de natures diverses, se mêlent et se déterminent l’une l’autre. Les causes externes déterminent des causes internes, en suggérant plus ou moins médiatement des idées associées aux sensations données par le milieu, ou aux idées que ces sensations réveillent. Les causes internes déterminent parfois les causes externes, en nous conduisant à modifier notre milieu, à nous transporter d’un lieu dans un autre, à voir telle ou telle personne. Les effets s’accumulent ainsi et se multiplient par suite de la multiplication des causes, et chaque effet peut devenir cause à son tour.

IV

Il convient maintenant de déterminer à peu près le point où s’arrête la vérité des considérations qui précèdent. Je ne veux pas évidemment scinder l’homme en plusieurs parties absolument indépendantes les unes des autres. J’ai tâché de montrer que cette indépendance existait. Il faut indiquer aussi ce qui la limite. Ce qui la limite, c’est que, arrivé à un certain degré de développement, les tendances diverses, les moi divers, si on veut, se combattent, et que nous prenons alors connaissance de leur existence, ce qui déjà commence à leur donner une certaine unité. Plusieurs des faits sur lesquels je me suis appuyé pour montrer la pluralité du moi impliquent cette connaissance : tel est l’état psychologique décrit par les vers de Racine. En fait, nous avons tous plus ou moins assisté à des luttes intérieures. Il arrive quelquefois, pas toujours, que les tendances vaincues le plus souvent finissent par s’affaiblir et disparaître ; le moi tend ainsi vers l’unité. Il arrive encore que les tendances se combinent entre elles, se mettent sous la dépendance les unes des autres et s’harmonisent pour concourir au même but. C’est là encore une manière d’arriver à l’unité ou de se rapprocher d’elle. Enfin il est à remarquer que les différents centres d’attraction qui se forment et constituent de petites unités dans l’ensemble de notre conscience n’ont guère d’influence que sur les actes de