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lui font jouer différents airs, composés chacun d’une série de notes principales accompagnées de notes moins distinctement perçues en général, qui forment l’accompagnement.

On voit comment s’expliquent toutes les contradictions que l’on rencontre chez l’homme, tous les défauts de logique et de raisonnement, le manque d’accord entre les divers jugements qu’il porte sur les choses, la contradiction entre ses idées et ses sentiments, entre ses idées et ses actes, entre ses sentiments et ses actes. C’est que l’homme n’est pas un ; il est plusieurs, et il est plusieurs parce qu’il a été façonné par des séries diverses, par des ensembles tout à fait différents de circonstances extérieures. Chacune se contredit en soutenant des choses qui ne peuvent s’accorder, ou en agissant contre ses principes, à peu près comme un orgue se contredirait si on lui faisait jouer Partant pour la Syrie après la Marseillaise.

Le moi n’est donc pas un ; toutefois on peut se demander s’il ne doit pas être un, un jour, Il tend vers l’unité, cela peut s’accorder je crois. En effet, à mesure que son adaptation augmente et que les milieux anciens changent, il semble bien que la coordination entre les diverses tendances de l’homme doive devenir de plus en plus complète. Il serait téméraire toutefois d’affirmer que l’homme arrivera jamais à l’unité.

III

J’ai comparé l’homme tout à l’heure à un orgue où les différents airs sont déterminés à l’avance et qui ne peut jouer qu’un certain nombre d’airs. On peut se demander si la comparaison n’eût pas été plus juste avec un piano, sur lequel on peut jouer à peu près tous les airs, en combinant les différentes actes à sa volonté. Un examen même superficiel montre qu’il n’en est rien et que, si l’homme n’a pas toute la rigidité de l’orgue, il a encore moins toute la souplesse du piano. Ses idées et ses sentiments dans les différents groupes qu’ils forment sont liés les uns avec les autres, de façon que la série ne puisse pas se rompre facilement, et les anneaux des diverses chaines ne peuvent pas se réparer aisément pour composer de nouvelles chaînes. Ici, nous retrouvons un autre caractère des changements morbides de la personnalité dans les variations normales : c’est l’oubli des autres moi. Il est positif que, quand une de nos personnalités domine, elle exclut toutes les autres ou tend à les exclure même du souvenir. Je sais bien que ce fait paraît en contradiction avec ce que l’on peut observer souvent ; mais ce