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thématique, mais celle d’une machine très compliquée. C’est un consensus d’actions vitales, coordonnées d’abord par le système nerveux, le coordinateur par excellence, puis par la conscience, dont la forme naturelle est l’unité. Il est en effet dans la nature des états psychiques de ne pouvoir coexister qu’en très petit nombre, groupés autour d’un principal qui seul représente la conscience dans sa plénitude. »

Je ne puis accepter entièrement cette définition ; les états psychiques ne sont pas entièrement coordonnés, ils ne le sont que partiellement. C’est ce que j’ai commencé de montrer, c’est ce qu’il faut achever de montrer clairement, pour établir que l’unité du moi n’existe pas, comme on l’entend d’ordinaire. Reprenons encore la question par le raisonnement et l’observation, pour mieux pénétrer les causes et la nature de la diversité des tendances.

L’homme est un être, et en tant qu’individu il doit tendre à se conserver lui-même. Que le sentiment de la conservation personnelle soit très vif chez l’homme, quelle que soit l’origine de ce sentiment, nul ne le niera. Ce sentiment s’accompagne d’autres sentiments de même nature, tels que le désir du bonheur, de la richesse, de la santé, etc. L’ensemble de ces sentiments constitue ce qu’on peut appeler les tendances égoïstes de l’homme. Mais l’homme n’est pas seulement un individu, il est membre aussi de groupes plus grands que lui, la famille et la société. Ces nouvelles conditions d’existence l’ont déterminé aussi d’une certaine manière, de sorte que l’individu, après une vie sociale de plusieurs siècles, doit être virtuellement doué de sentiments et de tendances qui le rendent propre à faire persister la famille et la société. D’un autre côté, une autre chose n’est pas moins évidente : c’est que ce qui est favorable à l’individu est souvent nuisible à la société et à la famille ; ce qui est utile à la société, nuisible à l’individu ou à la famille ; ce qui est utile à la famille, nuisible à l’individu ou à la société. Je veux bien que ces désaccords entre l’intérêt personnel et les différents intérêts collectifs tendent à disparaître ; mais le fait est qu’ils ont toujours existé, il faut donc s’attendre à trouver dans l’homme différents groupes de sentiments, correspondant à différents groupes de conditions d’existence, opposés entre eux et se manifestant tour à tour, chacun avec son groupe, selon les circonstances externes où se trouve placé l’individu à un moment particulier, ou plutôt suivant une résultante des conditions extérieures et de certaines conditions intérieures. Sans doute, on peut objecter que la vie de l’individu exige que les diverses personnalités que contient un homme ne se combattent pas trop, mais il est à remarquer que dans ce cas tantôt l’individu,