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F. PAULHAN. — variations de la personnalité.

tissant à des actes. Chacun de ces groupes aura sa vie propre, non pas tout à fait indépendante des autres, mais indépendante dans une certaine mesure.

Ainsi l’observation et le raisonnement à priori nous conduisent à voir dans l’homme une multiplicité réelle non pas seulement de phénomènes, ce qui est trop évident, ni de groupe de phénomènes, mais de petites personnalités distinctes, constituées chacune par un nexus de phénomènes et de tendances dérivées les uns des autres ou dépendant les unes des autres.

Cette assertion sera pris peut-être pour un paradoxe complètement faux ou pour une banalité ; il faut étudier les faits un peu plus profondément pour reconnaître qu’elle n’est ni l’un ni l’autre et pour pouvoir se faire une idée exacte de l’unité vraie ou fausse de la personne humaine.

Je me suis à peu près contenté jusqu’ici de montrer superficiellement l’opposition des divers côtés de l’homme. Il faut voir comment cette opposition est profonde et nuit réellement à l’unité du moi. Il n’en serait pas ainsi évidemment de toute opposition. Qu’un homme soit calme à un certain moment et qu’il se mette en colère à d’autres, par exemple, il peut ne rien y avoir de contraire à l’unité de sa personnalité. Pour montrer comment la formation des différents groupes nuit à l’unité du moi, il n’est pas hors de propos de préciser ce qu’on doit entendre par l’unité.

Il y a plusieurs sortes d’unités, l’unité métaphysique, l’unité qui est simplement le caractère par lequel une chose se distingue d’une autre, et enfin l’unité qui résulte de la convergence des effets ou des séries de phénomènes vers un même but. La première unité est l’unité substantielle, celle de l’âme pour les spiritualistes, celle du monde et de Dieu pour les panthéistes. La seconde est celle qui résulte de l’indépendance d’un phénomène ou d’un groupe de phénomènes par rapport à tous les phénomènes ou autres groupes de même espèce, d’un caillou par exemple ou d’un corps quelconque de tout phénomène ou groupe de phénomènes considéré à part des autres. La troisième est celle d’une machine bien construite. De la première, nous ne disons rien, puisque nous avons eu nos raisons pour rejeter les êtres métaphysiques. La seconde peut être attribuée au moi, comme à tout autre groupe phénoménal, à un livre ou à une pierre, par exemple ; il n’y a pas lieu d’insister là-dessus. C’est donc la troisième que nous devrons examiner surtout.

Cette troisième unité est celle qu’attribuent au moi, en général, les philosophes qui ne sont pas spiritualistes ou métaphysiciens. « L’unité du moi, dit M. Ribot, n’est donc pas celle d’un point ma-