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entre eux dans un groupe et séparés d’un groupe à l’autre. De plus, la connaissance d’un de ces groupes ne donne nullement la connaissance de l’autre, et des tendances tout à fait opposées peuvent se montrer dans les deux groupes. Tel homme père et magistrat peut être très indulgent pour ses enfants et très sévère pour les prévenus. Chaque groupe est formé d’un nexus de tendances qui se lient les unes aux autres et se déduisent jusqu’à un certain point les unes des autres, mais qui ne se lient pas, bien souvent, aux tendances de l’autre groupe et ne se déduisent pas d’elles. La théorie de la faculté maîtresse et du fait dominateur est vrai pour chaque partie de l’homme en particulier, non pour l’homme en général.

Ce ne sont pas seulement deux groupes de faits, deux centres, deux nexus de tendances qui se combattent ou se succèdent et se remplacent par moments, que l’on trouve chez l’homme ; il est plus compliqué que cela. À vrai dire, on ne peut savoir quel est le nombre de moi que contient un individu. L’homme religieux et l’impie, l’homme public et l’homme privé ne constituent pas une personnalité complète, il y a chez un homme : l’homme du monde et l’homme tel qu’il est dans son intérieur, l’homme de la ville et l’homme de la campagne, etc., etc. Ces différents moi se croisent, s’associent parfois les uns avec les autres et les uns contre les autres. L’homme public peut être religieux, tandis que l’homme privé est athée, etc. ; mais ils ne se ramènent pas à une unité ; on ne peut attribuer à la personne complète presque aucune qualité ; le moi un au point de vue psychique est une pure abstraction, qui n’existe point dans la nature et n’a aucune réalité substantielle ou phénoménale.

Cela paraîtra peut-être paradoxal ; on va penser que ce morcellement de l’homme peut n’avoir aucune limite et que chaque phénomène particulier, en admettant que l’homme puisse se décomposer en phénomènes séparés les uns autres, va constituer à lui seul une petite entité. Ce n’est pas là que je veux en venir ; mais, avant de terminer l’examen de la question et d’en arriver aux considérations générales qui doivent découler des faits, il n’est pas mauvais de reprendre la question par la méthode à priori et de voir comment il doit se faire fatalement que l’homme soit constitué par le groupement de diverses personnalités imparfaitement ordonnées.

Dans les cas morbides, comme celui que cite Macnish et comme ceux des docteurs Azam et Dufay, il est très difficile de dire quelle est la cause première de la formation des deux personnalités distinctes, ou du moins il est difficile d’indiquer d’une manière précise quelle est cette cause. Tout ce qu’on peut indiquer, c’est l’effet, qui est la scission en deux des phénomènes psychiques, qui paraissent dès lors