Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/647

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
643
F. PAULHAN. — variations de la personnalité.

Elle n’a pas d’ailleurs passé inaperçue, et on pourrait trouver dans la littérature beaucoup de passages qui l’impliquent ou la signalent, mais on a vu surtout dans les expressions employées une simple métaphore.

On connaît suffisamment les vers de Racine, le cantique qu’il tira des paroles de saint Paul ; la dualité du moi y est énoncée avec une clarté qui ne laisse rien à désirer.

Mon Dieu, quelle guerre cruelle !
Je trouve deux hommes en moi.
L’un veut que, plein d’amour pour toi,
Mon cœur te soit toujours fidèle ;
L’autre, à tes volontés rebelle,
Me révolte contre ta loi, etc.

Ces deux hommes que Louis XIV connaissait bien, d’autres personnes les ont connus aussi, et le combat qui s’élève dans l’esprit à divers propos n’est pas une chose rare. On pensera peut-être que la personnalité n’a rien à voir là-dedans et qu’il est bien facile de dire que c’est la même personne, la même âme qui est tiraillée entre deux penchants. Je ferai remarquer d’abord que cette objection ne peut être faite que par ceux qui ne reconnaissent pas la valeur des cas d’amnésie périodique au point de vue des objections qu’on peut en tirer contre l’unité du moi, car il est facile de dire aussi que l’âme de Felida se manifeste tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Je désire ne pas rentrer ici dans le problème de l’unité substantielle, que je crois devoir être définitivement rejeté, problème que j’ai examiné d’ailleurs dans un article précédent[1], et je me borne pour le, moment à constater le fait de la lutte entre les diverses tendances de l’homme et de l’idée qu’elle suggère naturellement d’une dualité du moi. Nous verrons plus tard ce qu’il y a de vrai dans cette idée.

Ce combat de tendances n’est pas le seul état qui fasse naître l’idée d’une dualité de la personne humaine ; cette idée peut naître aussi non pas du conflit, mais de la succession périodique de deux groupes différents de tendances et de phénomènes. Il est assez fréquent de dire ou d’entendre dire qu’il y a deux personnes chez un individu désigné l’homme et le magistrat, par exemple, ou le professeur, l’homme privé et l’homme public. Sans doute, ici encore, c’est la même personne, si l’on veut, qui est à la fois homme privé et homme public. Remarquons toutefois que ces deux personnes en qui on sonde plus ou moins artificiellement une individualité vivante et concrète sont des groupes de faits et de tendances différentes reliés

  1. Revue philosophique, juillet 1880.