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F. PAULHAN. — variations de la personnalité.

non-attention, on verra qu’il est impossible de réussir. On dira par exemple, et c’est la première idée qui se présente, qu’on n’a pas oublié une chose tant qu’on peut à volonté la faire revenir à l’esprit. Il n’est pas mal aisé de reconnaître que le mot volonté est bien vague, qu’il désigne une seule des conditions de rappel et qu’il ne peut servir à séparer absolument ce qu’on sait encore de ce qu’on a oublié. Il peut se faire par exemple que je cherche un nom sans pouvoir le trouver, ou un fait, ou une date, qui me reviendront plus tard sans que je les cherche ; chacun sait que c’est là un phénomène assez fréquent et que souvent c’est lorsqu’on cherche que l’on ne trouve pas. Il ne faut pas oublier, de plus, que l’acte de retrouver un souvenir par la volonté rentre dans les associations d’idées et qu’il est impossible de séparer des autres, pour les mettre à part, les opérations volontaires de l’esprit. Il faut donc trouver autre chose. Ce que l’on constate en fait, c’est que la non-attention et l’oubli complet, si un tel oubli est possible, se rejoignent par une foule de phénomènes intermédiaires, que l’on peut observer très facilement. D’abord l’inattention conduit à l’oubli. À force de ne pas penser à une chose, il peut se faire qu’il devienne impossible de la rappeler. D’un autre côté, certaines choses qui paraissent oubliées viennent à surgir tout à coup dans la mémoire, quand certaines circonstances extérieures ou intérieures déterminent une activité extraordinaire de l’esprit. À côté de l’objet sur lequel se porte pour un moment notre attention, il y a des souvenirs en grand nombre qui pourront l’attirer dans un moment avec une grande facilité sous l’influence d’une association volontaire ou involontaire ; il y a une autre classe de phénomènes passés qui, répétés moins fréquemment ou ayant joué un rôle moins considérable dans notre existence, ne pourront que plus difficilement être représentés à la mémoire, au moyen d’un effort, ou bien par l’effet d’un ensemble de circonstances un peu extraordinaire. Il y a enfin toute une classe de faits qui ne pourront jamais ou presque jamais revenir à l’esprit. Et ces diverses classes ne se séparent pas nettement, mais se confondent par leurs extrémités ; entre l’état de conscience actuel et l’impression éloignée dont la trace, trop faible pour apparaître à l’esprit, va sans cesse s’affaiblissant, on peut trouver tous les intermédiaires.

La non-attention se relie ainsi à l’oubli ; l’oubli lui-même ne diffère guère de l’amnésie, au point de vue de la psychologie générale, que par ses causes. Les deux faits considérés en eux-mêmes sont identiques ; encore peut-on faire cette remarque qu’il est difficile de les distinguer complètement par leurs causes, comme il est difficile de distinguer la santé et la maladie.