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II

Les phénomènes pathologiques, en présentant l’exagération des phénomènes physiologiques, permettent souvent de se rendre compte de la véritable nature de ces derniers et de reconnaître dans l’état normal ce qu’on n’y eût jamais trouvé sans eux. Les phénomènes d’amnésie périodique, de double conscience, ont montré comment certains groupes psychiques divers pouvaient se former chez un même individu et rester complètement à l’écart l’un de l’autre. Les hallucinations et d’autres faits ont montré comment certains phénomènes peuvent être attribués à un autre individu par l’individu chez qui ils apparaissent. Les phénomènes de la névropathie cérébro-cardiaque montrent comment la sensation propre que chacun possède de son moi peut s’altérer et disparaître plus ou moins. Ces phénomènes ont mis en lumière la nature complexe et changeante de la personnalité humaine. Il n’est pas difficile, une fois qu’on les connaît, d’en reconnaître les caractères essentiels dans des faits qui se présentent chaque jour et que chacun a observés ou peut observer par lui-même.

On peut examiner à part chaque sorte de variation du moi ; je reviendrai plus loin sur les interprétations philosophiques à tirer des faits ; occupons-nous pour le moment des faits eux-mêmes.

Les faits normaux dont nous nous occuperons ici sont ceux qui se rapprochent de l’amnésie périodique ; on pourrait presque, en forçant le sens du mot amnésie, les appeler des amnésies normales périodiques. Il est nécessaire ici de dire quelques mots sur la mémoire. Une indication des ressemblances et des différences de la mémoire et d’un des états psychiques qui se rapprochent d’elle par leur nature fera bien comprendre la différence et les ressemblances qu’il y a entre l’amnésie périodique et les différents degrés de ce que je voudrais presque appeler l’amnésie normale.

En fait, cette différence se ramène à celle qu’il peut y avoir entre avoir oublié une chose et ne pas penser à cette chose. On ne peut distinguer absolument ces deux faits l’un de l’autre. Sans doute, si l’on prend des cas très marqués, la différence paraît éclatante. Il m’arrive par exemple de ne pas penser à mon nom ; cela n’implique pas que je l’aie oublié, et je ne suis pas dans la situation d’un malade qui ne peut plus dire comment il s’appelle. Toutefois, si l’on cherche à établir des distinctions bien tranchées entre l’amnésie, l’oubli et la