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LES VARIATIONS DE LA PERSONNALITÉ

À L’ÉTAT NORMAL

I

On s’est beaucoup occupé depuis quelques années des phénomènes morbides que l’on a appelés phénomènes de double conscience, expression qui n’est pas très exacte et qui a au moins le défaut de prêter à l’équivoque. Ces phénomènes morbides, ainsi que d’autres qui leur ressemblent plus ou moins, en ce que la notion du moi est aussi altérée, ont été employés surtout contre la théorie métaphysique de la substance spirituelle. Ils sont bien connus des lecteurs de la Revue. M. Taine a signale ici même les phénomènes de la névropathie cérébro-cardiaque, dont M. Littré s’est occupé aussi. MM. Azam et Dufay ont exposé et discuté dans la Revue scientifique des cas curieux d’amnésie périodique. M. Ribota a groupé et interprété dans un de ses derniers ouvrages les faits qui se rapportaient à la fois à la mémoire et à la personnalité. Je n’ai pas l’intention de revenir ici sur ces phénomènes d’ordre morbide, mais bien de faire voir dans l’ordre normal des faits qui s’en rapprochent et d’en montrer les conséquences dans la question de la nature du moi. Voici, brièvement énoncés, les résultats auxquels je crois pouvoir arriver : 1o Les variations de la personnalité analogues à celles que nous révèlent les états morbides décrits par divers auteurs sont très fréquentes à l’état normal, mais pour diverses raisons elles passent souvent inaperçues, ou bien on n’en tient pas suffisamment compte. 2o Si l’homme peut être considéré comme ayant une certaine unité, cette unité a sa base dans le corps, non dans l’âme et dans les fonctions inférieures du cerveau plutôt que dans ses fonctions les plus élevées. 3o L’homme n’a pas une unité accomplie ; son unité parait seulement en voie de formation.