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dans la nature matérielle, à savoir l’organisme, la vie, ne peut avoir une origine mécanique et s’expliquer par les forces motrices en tant que causes purement mécaniques. Là est le talon d’Achille dans la philosophie kantienne[1]. »

Mais la doctrine de l’évolution a réfuté victorieusement cette erreur de Kant. Le mécanisme des lois de l’hérédité et de l’adaptation suffit à rendre compte de tous les phénomènes biologiques, qui ne se laissent pas ramener aux lois physico-chimiques. Et les lois biologiques elles-mêmes ne sont qu’un mode plus complexe des lois générales de la matière. Le dualisme de la matière et de la vie n’est pas plus tolérable que celui du règne animal et du règne humain, ou celui de la sensibilité et de la raison. L’être est un, et ses propriétés dérivent les unes des autres : la matière engendre la vie, comme celle-ci produit la sensibilité, qui donne naissance, à son tour, à la raison. À cette condition seulement, la philosophie de l’évolution peut véritablement se constituer ; et sur les ruines de l’ancien dualisme s’élèvera le monisme de l’avenir, le seul qui mérite de porter ce nom, puisqu’il fait profession de démontrer que l’être est partout le même et ne diffère que par le degré que partout il est soumis aux mêmes principes d’explication, aux pures lois du mécanisme scientifique.

Ce monisme, à la différence de celui des anciens philosophes, ne veut emprunter ses arguments qu’à l’expérience. Il professe le plus profond dédain pour les constructions à priori, dont l’esprit tire de lui-même la matière et le dessin, par un effort aussi ingénieux, mais plus stérile que celui de l’araignée. Il rejette cette intuition spontanée de l’absolu, qui livre à Hegel le dernier mot des choses et qu’on a ingénieusement comparée à un coup de pistolet métaphysique.

Le monisme de Hæckel se déclare bien résolu à ne demander qu’à la science les plus hauts principes, comme les données les plus familières du système.

Voyons ce qu’elle lui apprend sur la matière, la vie, les espèces, l’homme et Dieu.

« La matière et la quantité de force qui en est inséparable sont illimitées dans le temps et l’espace, éternelles, infinies[2]. » — « Nous tenons à la théorie de Kant et de Laplace sur la formation de la terre, comme à la théorie atomique en chimie, aussi longtemps qu’elles s’accordent avec les faits observés et qu’elles n’ont pas été remplacées par une théorie meilleure. »

  1. P. 102.
  2. Morphologie, 442-443.