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le guiderai sur le trait qu’on m’aura désigné, je ne parviens pas à l’y maintenir avec une précision absolument rigoureuse. L’essentiel, c’est que, entre la situation qu’il occupait et le mouvement qu’il a pris, il n’y ait aucun lien.

Enfin, voici qui est péremptoire. Je recommence l’opération, et, cette fois-ci, j’engage le mobile sur la branche que tantôt je n’avais pas choisie. Il a donc parcouru à deux reprises deux trajectoires différentes, ayant une portion commune. Or, nous l’ayons vu, il est impossible de concevoir que deux trajectoires coïncident dans une portion finie de leur développement. L’une au moins des deux est discontinue, et des forces prédéterminées ne peuvent forcer un mobile à la décrire.

Prévenons encore une objection. Une pierre roule de la montagne, et elle trace dans l’espace une certaine courbe. Si pourtant on avait écarté de son chemin tel caillou qu’elle a heurté, à partir de ce moment, elle se serait engagée sur une autre route. Voilà donc deux trajectoires, dont l’une est idéale, il est vrai, qui ont une portion commune. Sans doute ! Mais, qu’on ne l’oublie pas, car nous l’avons dit expressément, la première n’est continue que dans la supposition où les forces qui détachent la pierre soient les mêmes forces qui ont formé la montagne. Or il n’en est plus ainsi quand vous modifiez librement cette forme en ôtant un simple caillou. On peut varier cette objection, et chaque fois la réponse est la même. Voici deux corps absolument identiques qu’on laisse tomber de la même hauteur, mais ils sont reçus sur deux pentes différentes ; les trajectoires auront, dit-on, une portion semblable. Erreur ! Si les deux pentes existent au moment où on lâche les corps, ils ne décriront la même courbe à aucun instant de leur chute.

Il y a donc certainement des mouvements discontinus, et ce sont précisément des mouvements volontaires. Nous pouvons en inférer que tous les mouvements volontaires sont discontinus.

Par conséquent, à côté des forces dont les effets se commandent de telle sorte que l’un suit nécessairement l’autre, il existe des puissances dont le mode d’action se caractérise par l’indépendance des effets.

VI

Les mouvements discontinus ne s’expliquent que par la liberté.

Ces puissances ne peuvent être que de deux sortes : ou elles sont libres, dans le sens défini plus haut ; ou bien ce sont des forces dont