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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

la trajectoire entière, mais également celles de toutes les autres particules du système.

Ainsi supposons deux masses s’attirant l’une l’autre, un fragment fini de la trajectoire d’une partie constitutive quelconque de ces masses nous mettra à même, non seulement de déterminer la suite indéfinie de leurs mouvements, mais encore leur configuration et la distribution de la matière en elles à n’importe quel moment du temps. Le chemin parcouru pendant quelques instants par la moindre gouttelette d’une goutte de pluie reflète la forme intégrale du globe terrestre.

Ce théorème n’est pour ainsi dire que la traduction mathématique de la thèse du déterminisme. En tout cas, elle l’implique comme conséquence, et cette conséquence est beaucoup mieux justifiée que celles qu’on veut y découvrir contre le libre arbitre. Il en est de même de tous les corollaires qui vont s’en ensuivre.

Laplace disait ceci : Étant données les forces dont la nature (non libre) est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, une intelligence suffisamment vaste connaîtrait l’avenir et le passé aussi bien que le présent.

Je vais plus loin : je dis que cette intelligence n’aurait besoin, si la nature est un mécanisme, que de considérer pendant un temps fini, si court qu’il soit, la marche d’une portion de matière, aussi petite que l’on voudra, pour recréer par la pensée la nature entière dans son passé et son avenir.

Ainsi, pour reprendre l’exemple de la goutte d’eau, la considération d’une seule de ses parties constitutives pendant un temps fini, donne la forme intégrale du globe terrestre. Et, en effet, imaginez que, pendant la chute de la goutte, on déplace une montagne, — et quand nous disons une montagne, nous pourrions dire tout aussi bien un caillou, — à l’instant même, la goutte va se déformer à la suite de la modification qu’elle subit dans ses forces attractives, et cette déformation intéressera d’une manière adéquate la partie considérée.

Comment, va-t-on s’écrier, une pierre se détache de la montagne, roule, s’élance, bondit contre un obstacle, ressaute, reprend sa course, s’arrête…, et le mouvement — même le repos — d’une seule de ses particules, observé pendant une suite d’instants, si courte que l’on voudra, contient l’histoire de notre planète ? Oui, du moment que la Terre, avec tous ses accidents, résulterait des seules forces initiales qui ont présidé à sa naissance.

Reportons-nous par la pensée au début d’un univers purement mécanique. Les molécules, soumises à des forces prédéfinies, se