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paraison, parce que j’aurai à y revenir. Le terme discontinuité appliqué à une trajectoire n’a pas le même sens qu’appliqué à une figure : sa signification mécanique est différente de sa signification géométrique. Deux portions de ligne qui ne se touchent pas, forment une figure discontinue au sens géométrique du mot, parce qu’entre elles il y a une lacune. Une trajectoire ne peut présenter de lacune ; elle est nécessairement continue en ce sens. Mais elle n’est continue, dans le sens mécanique, que si son caractère et ses propriétés générales sont identiques en chacun de ses points. Tel n’est pas le cas, par exemple, d’un arc de courbe continué par sa tangente.

Scientifiquement parlant, il y a discontinuité dans la trajectoire d’un mobile à l’instant où sa direction et sa vitesse cessent d’être la conséquence immédiate de son mouvement antérieur. Quelque compliquée que soit la ligne qu’une planète trace sur la voûte du ciel, elle a cependant son équation, et, dans n’importe quelle fraction de son étendue, sont déjà virtuellement contenus les mouvements que l’astre exécutera demain et dans la suite indéfinie des siècles. En d’autres termes, une portion finie quelconque de son orbite, apparente ou réelle, suffit pour déterminer l’orbite entière. Il n’en est pas de même du chemin décrit par un être libre. S’il possède la faculté que nous avons définie, tant qu’il en fait usage, aucun de ses pas n’est la suite nécessaire des pas précédents, ni la raison suffisante de ceux qui vont venir. On ne peut calculer, d’après un morceau du chemin qu’un voyageur a parcouru, ni son itinéraire passé ni son itinéraire futur. La notion de discontinuité est donc purement négative et suppose celle de continuité.

La question : Y a-t-il des êtres libres ? a maintenant fait place à celle-ci Y a-t-il des mouvements discontinus ? laquelle en présuppose une autre : Est-il possible de reconnaître la discontinuité, c’est-à-dire, étant donnée une trajectoire quelconque, d’affirmer si elle est discontinue ou continue ? Donnons la réponse d’avance : On ne peut pas toujours reconnaître la discontinuité ; mais il est de ces mouvements dont on peut affirmer avec toute certitude qu’ils sont discontinus. En d’autres termes, je montrerai qu’il est des figures linéaires dont le caractère de discontinuité est patent. La démonstration est assez laborieuse ; j’espère cependant qu’avec un peu d’attention il ne sera pas difficile au lecteur de la suivre.

Étant donné un système de particules matérielles, reliées par des relations définies, et soumises à un ensemble de forces initiales également définies, elles décrivent chacune une trajectoire dont tout le développement est déterminé en ce sens qu’une portion finie quelconque de ce développement permet de reconstituer non seulement