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NOLEN. — le monisme en allemagne

lable qu’il n’y a pas lieu, dans la science véritable, de séparer l’une de l’autre l’expérience et la philosophie. Celle-là n’est que le premier et le plus infime, celle-là le dernier et le plus haut degré de la connaissance. Toute science véritable est philosophie ; toute véritable philosophie est science. Toute vraie philosophie est, en ce sens, une philosophie de la nature[1]. »

Si les savants et les philosophes ont été si longtemps divisés, c’est que les premiers ne connaissaient sous le nom de philosophie que le dogmatisme chimérique des théoriciens de l’école de Hegel, et que les seconds étaient demeurés totalement étrangers aux découvertes, indifférents aux recherches de la science. La nouvelle philosophie de la nature n’aura donc de commun que le nom avec celle de Schelling. Hæckel se flatte de renouer la série interrompue depuis Kant des philosophes, qui étaient en même temps des savants de métier et qui faisaient l’honneur et la force de l’école de Descartes et de celle de Leibniz.

La réalité n’est accessible dans l’ensemble, comme dans le détail, qu’aux instruments dont la science fait usage, le calcul et l’expérience, et l’hypothèse n’a d’autre rôle que d’en guider, d’en faciliter ou d’en suppléer provisoirement l’emploi. Là où le calcul et l’expérience n’atteignent plus, là cesse la science ; mais disons aussi : là cesse pour nous la réalité. On donne le nom de mécanisme à la méthode scientifique que nous venons de définir : il n’y a donc pas place pour la téléologie, pour la recherche des causes finales, ni dans l’ensemble, ni dans les détails du monde ; ni dans l’explication des organismes, ni dans celle des combinaisons de la pure matière. Un plan, un dessein, un type, une idée directrice de l’évolution de la matière dans la formation des individus et des espèces ou dans l’harmonie des parties de l’univers, ce sont là autant d’objets inaccessibles au calcul et à l’expérience, donc étrangers à la science, étrangers à la réalité de pures conceptions de la pensée humaine. C’est une faiblesse de Kant, qui est grosse de toutes les aberrations de la métaphysique à priori, d’avoir cru que « la nature vivante n’est pas un objet de connaissance, mais seulement de contemplation, parce que les forces motrices de la matière ne suffisent pas, selon lui, à l’explication de l’organisation. Après avoir, dans ses Principes métaphysiques de la science, démontré que tout dans la nature matérielle a une origine mécanique et doit s’expliquer par le jeu des forces motrices en tant que causes mécaniques, Kant s’est cru forcé dans l’analytique du jugement téléologique de reconnaître que quelque chose

  1. Morphologie. T. I. p. 67.