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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

être libre dans le sens défini, il suffit que l’individu ait la faculté de suspendre son action, c’est-à-dire de ne pas répondre immédiatement à l’excitation qui le sollicite, et de retarder le moment où il déploiera la force qui est en lui emmagasinée à l’état de tension. Par ce retard, il n’engendre évidemment pas de forces ; il laisse seulement l’univers marcher dans l’intervalle et se disposer autrement ; et de là vient que ce qui, dans un événement, dépend de lui, ne peut se prévoir. J’aurai plus tard à rechercher la mesure mécanique de l’effet d’un retard dans la production d’un acte volontaire.

Reste une troisième demande : Existe-t-il des êtres libres ? Cette demande revient à celle-ci : Y a-t-il dans la nature des mouvements qui ne peuvent se prévoir, qui ne sont pas contenus dans les mouvements qui précèdent ? Je réponds : Oui. Ce sont les mouvements volontaires des animaux.

Du moment que nous voyons un certain volume matériel qui se meut, changer à chaque instant et brusquement sa direction, résister aux forces qui le poussent dans un sens déterminé, s’arrêter, réprendre sa course, rebrousser chemin, sans que nous saisissions les causes extérieures qui pourraient expliquer ces tours, ces détours et ces retours, nous croyons fermement avoir devant nous un animal. Il pourra nous arriver de prendre pour un papillon une feuille qui tourbillonne emportée par la brise, mais l’erreur ne sera pas de longue durée. Nous remarquerons bientôt que la feuille obéit aux impulsions de l’air et que le papillon, au contraire, leur résiste. Quand souffle la tempête, les roseaux et les chênes se courbent dans le sens de l’ouragan ; le cavalier et sa monture se raidissent, s’arc-boutent et poursuivent leur chemin. Les poissons et tous les habitants des eaux remontent, quand ils le veulent, les courants. La pince du homard se ferme quand cherche à l’ouvrir. Le poulpe contracte le bras que l’on tiraille. Inutile de nous étendre en de plus longs développements.

Mais si, d’un côté, l’allure des animaux est tellement caractéristique que nous avons même nommé zoospores les germes de certaines plantes, il n’est pas facile d’en faire une description exacte. On peut même dire que c’est impossible. Mais on peut la définir scientifiquement : elle est discontinue, en prenant ce terme dans un sens un peu spécial que la suite va éclaircir.

Quand peut-on dire qu’un mouvement est discontinu ? Quand il change instantanément de détermination. Une bille visible qui roulerait sur un billard invisible, où elle se heurterait à d’autres billes également invisibles, nous présente très bien l’image d’un mouvement discontinu, quoique fort simple. J’ai choisi exprès cette com-