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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

Cette proposition est rigoureusement vraie et n’est pas seulement une expression métaphorique.

Mais — et ici nous entrons dans le cœur de notre sujet — comment se fait-il que ces transformations ont mis du temps à s’opérer ? Pourquoi l’avenir n’est-il pas déjà là ? Pourquoi la gravitation universelle, qui, dit-on, est la source de toute activité, n’a-t-elle pas encore achevé son œuvre ? Pourquoi l’équilibre vers lequel nous tendons n’est-il pas déjà depuis longtemps, depuis toujours, un fait accompli ?

Nous avons déjà vu que toute transmission de mouvement prend du temps[1]. Il en est de même de toute transformation de mouvement. Quand on abandonne à son propre poids un corps qu’on tient suspendu à une certaine hauteur au-dessus du sol, sa chute, même dans le vide, n’est pas instantanée. À mesure qu’il tombe, il change en force vive la force de tension qu’on avait accumulée en lui en le portant à cette hauteur. Or ce changement ne s’opère pas d’emblée. C’est là une marque que la force, elle aussi, jouit d’une propriété analogue à ce que l’on a appelé inertie dans la matière. Nous savons que la matière non seulement ne se met pas d’elle-même en mouvement ou en repos, mais que toute accélération, comme tout retard dans sa vitesse, demande du temps. Elle n’obéit pas immédiatement à la poussée et n’a l’air de s’en apercevoir qu’au bout d’un certain intervalle, quelque court d’ailleurs qu’on veuille le supposer.

De même, la force résiste à toute transformation. Ce n’est pas spontanément qu’elle passe de la forme vibratoire à la forme translatoire ou réciproquement. Il faut un appareil, quel qu’il puisse être, qui opère ou aide à opérer cette transformation. Le passage d’une forme à l’autre ne se fait donc pas sans qu’il y ait une résistance détruite. Et c’est l’ensemble des résistances détruites qui constitue le temps.

Le temps, parfaitement calculable, que demande la transmission du mouvement d’un corps à un autre, correspond sans doute à une double transformation dans l’un et dans l’autre de ces corps, le mouvement du premier se transmettant d’abord dans le second sous forme de tension, puis cette tension redevenant mouvement.

Nous avons ainsi trouvé pour définir le temps une nouvelle expression plus précise. Nous avons d’abord dit qu’il correspondait à de la transformabilité détruite. Nous savons maintenant ce que cela signifie ; nulle transformation ne se fait sans peine. Toute chose, la

  1. Premier article, § V, p. 475 et suiv.