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sont accompagnés d’une dépense d’énergie ; mais le principe de la conservation de l’énergie n’est nullement intéressé dans la question de la liberté. En vouloir tirer le fatalisme, c’est vouloir exprimer de l’eau d’une pierre ponce : Ex pumice aquam !

III

Les êtres libres pourraient disposer du temps. Distinction entre le temps réel et le temps abstrait uniforme.

Nous le savions de reste. La loi de la conservation de l’énergie s’oppose uniquement à ce que les êtres libres, s’ils existent, puissent créer ou détruire des forces, et non pas à ce qu’ils disposent de celles qui sont en eux. Nous savons encore que disposer d’une force ne signifie en aucune façon changer sa direction ou son point d’application, parce que ce serait là aussi créer ou détruire de la force. Qu’est-ce donc qui pourrait être à leur disposition ? Une seule chose : le temps. Les êtres libres auraient la faculté de retarder ou d’avancer la transformation en force vive des forces de tension dont ils sont le support. Comme nous le verrons plus tard, la délibération n’est pas autre chose.

Qu’est-ce cependant que le temps ? Ce n’est pas ici le lieu de chercher à sonder dans toute sa profondeur cette puissance mystérieuse, source de tout ce qui a été, de tout ce qui est, de tout ce qui sera, de laquelle le vulgaire dit que c’est un grand maître, et que l’antique sagesse a peut-être voulu représenter, sous la figure effrayante du dieu qui dévore ses propres enfants. Mais il est à propos de la caractériser et de montrer comment son action est présente et indispensable en tout et partout. Nous venons de voir que la force passe sans cesse de l’état transformable à l’état intransformable. Le jeu de la machine universelle devient ainsi de jour en jour moins violent, moins impétueux, les chocs moins durs, les actions plus lentes et plus douces. L’univers tend vers l’équilibre ; cet équilibre s’établit insensiblement, et ce qui est une fois acquis l’est pour toujours.

Mais aussi l’établissement de l’équilibre est de plus en plus lent à mesure que les différences s’aplanissent. La vitesse d’écoulement d’un liquide décroît avec la différence de hauteur entre son niveau et l’orifice. L’échauffement d’un corps dans un milieu plus chaud se