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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

Voilà pourquoi, à côté du principe de la conservation de la force-mouvement, nous en avons inscrit un autre, celui de la fixation de cette force. Quand un mouvement s’est transformé, il y a de la transformabilité irrévocablement détruite, c’est-à-dire qu’il y a une partie de ce mouvement qui n’est plus transformable, si ce n’est aux dépens d’une autre quantité de transformabilité. Il y a quelque chose qui auparavant était disponible et qui actuellement ne l’est plus.

Quel est ce quelque chose ? Parlons un langage exact. Ce qui est susceptible de se transformer n’est pas le mouvement en soi ou la chaleur en soi ; c’est une différence de mouvement ou une différence de chaleur, en un mot, un défaut d’équilibre. Si toutes les parties de l’univers étaient animées d’un mouvement rectiligne dans le même sens, ce mouvement, si rapide qu’il fût, serait absolument comme s’il n’existait pas, puisqu’il n’y aurait rien pour l’arrêter et sur quoi on pût le recueillir. Élevez uniformément la température de toutes les molécules qui le composent, réduisez-le en vapeur, cette immense quantité de chaleur sera inutile, puisque l’on n’aura pas un milieu plus froid où l’on puisse la faire passer. Mais si les mouvements se contrarient, si la chaleur est inégalement distribuée dans l’espace, les chocs, en détruisant du mouvement, produisent de la chaleur, les chutes de chaleur, en détruisant de la chaleur, produisent du travail, à la façon d’une chute d’eau. Seulement, à mesure que les chocs réduisent le mouvement en chaleur et que, de son côté, la chaleur s’équilibre, la hauteur de chute tend sans cesse à s’abaisser, la quantité de force potentielle disponible diminue, et, à la fin des temps, le travail cessera faute d’aliment.

Il est maintenant clair comme le jour que le libre arbitre n’a rien à voir avec le principe de la conservation de l’énergie. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, la quantité d’énergie reste nécessairement la même. Que l’homme gaspille ou ménage le charbon qui est renfermé dans les entrailles de la terre ; qu’à la façon des castors, il édifie des barrages comme celui de la Gileppe pour élever le niveau des eaux, ou qu’il perce des isthmes pour joindre les océans ; en un mot, qu’il tienne fermées ou qu’il ouvre toutes les vannes et toutes les bondes qui maintiennent des différences d’équilibre, — peu importe ; l’énergie ne varie pas ; il n’en a rien distrait, rien détruit ; il n’y a non plus rien ajouté. Libres ou non, l’homme et les animaux ne font que convertir sans cesse du transformable en intransformable ; ils précipitent le cours des choses. Chaque fois qu’ils se mettent en mouvement, ils consomment une différence de chaleur ; chaque fois qu’ils s’arrêtent, ils produisent de la chaleur. Il est possible, il est même probable que les pensées et les sentiments et les volontés