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ment répandue dans l’espace, l’univers sera frappé d’immobilité et de mort… à moins que la puissance — s’il y en a une — qui lui a donné naissance ne le ranime de son souffle.

Cela étant, — et cela est, — ce que nous appelons force n’est pas à proprement parler la force. Si l’univers atteint son terme fatal, il aura toujours la même quantité d’énergie qu’à ses débuts. Mais, au lieu d’opérer des mouvements translatoires, cette énergie sera affectée tout entière à agiter les molécules d’un mouvement vibratoire appelé chaleur et ; ne pourra plus servir à produire aucun changement. Il y aura donc un abîme entre le commencement et la fin. À l’exubérance de vie aura succédé la mort. Et qu’est-ce qui aura disparu ? Le principe de la vie lui-même, la source de tout changement, les oppositions fécondes, l’antagonisme des éléments, les différences de niveau qui rendaient possible la transformation de la puissance en travail.

Devrions-nous donc placer la force dans le mouvement ? Évidemment non. À proprement parler, la force est la faculté de transformer. Or, tout changement a pour effet de faire passer le mouvement de l’état transformable à un état plus ou moins intransformable, il consomme de la transformabilité. La transformabilité disparaît par là peu à peu, et avec elle la cause et la source du changement même. C’est ainsi que l’industrie épuise sans relâche le charbon, cette source précieuse de chaleur que la chlorophylle des plantes a dérobée au Soleil.

Du reste, sans pénétrer dans les arcanes de la thermodynamique, dès qu’il est établi, comme il vient d’être fait, que l’activité universelle n’est pas et ne peut être de nature périodique, elle a nécessairement pour principe une tendance. Or, à mesure qu’une tendance se satisfait, son énergie diminue et diminue sans retour. Il ne faudrait pas croire échapper à cette conclusion en supposant soit que l’univers est infini, soit que la tendance a une puissance infinie. Une pareille tendance ne serait pas nécessairement inépuisable, car elle produirait des effets quantitativement infinis. D’autre part, l’idée d’un univers infini en étendue ne présente à l’esprit aucun sens. Les parties infiniment éloignées de cet univers sont sans action les unes sur les autres, et il ne faut pas s’attendre à les voir jamais se rapprocher de manière à entrer dans leurs sphères d’action réciproques. Un univers infini n’est, après tout, qu’une collection infinie d’univers finis ; or ce qui est vrai d’un de ceux-ci, est vrai de tous ; et, par conséquent, l’infini n’a rien sauvé. Nouvelle preuve que l’infini n’a, dans les sciences, d’autre usage que de servir de refuge au penseur dans l’embarras.