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Si elle démontrait l’unité de la matière, brute ou organisée, et l’universalité du mécanisme, n’établissait-elle pas avec la même évidence, par les expériences les plus indiscutables et les inductions les plus rigoureuses, que la pensée est partout associée à la matière et que la pensée obéit partout aux mêmes lois ?

C’est ce qu’entreprit de prouver le monisme, dont nous allons étudier les formes principales.

I

Hæckel.

Le jeune et ardent naturaliste d’Iéna, Ernest Hæckel, se fit, le premier, l’interprète du monisme dans sa Morphologie des organismes (1866). Il y célèbre, sur le ton des hiérophantes, les bienfaits du nouvel évangile. Sa foi impatiente ne trouve pas de paroles assez dures pour les contradicteurs ou les hésitants. Les adversaires sont traités comme les pires des hérétiques par le grand prêtre de la nouvelle Église. C’est surtout dans son premier grand ouvrage qu’il est intéressant de surprendre le génie de Hæckel. Nulle part, les qualités et les défauts de l’homme et la doctrine ne sont plus apparents. On y est également subjugué, au premier abord, par l’étendue du savoir et par la richesse de l’imagination, et il faut se faire violence pour retrouver le sang-froid nécessaire à la critique. L’ouvrage d’ailleurs est une composition écrite tout d’une pièce, et non pas seulement, comme l’Histoire naturelle de la création et l’Anthropogénie, un recueil de leçons destinées à un auditoire de profanes. En même temps, les questions de principes et de méthodes tiennent une plus grande place que dans les écrits suivants. Les citations des poètes, de Gœthe surtout, se multiplient et ouvrent chaque chapitre. C’est donc là qu’il nous faut chercher à surprendre l’esprit général de la doctrine. Les autres ouvrages nous en feront connaître les applications particulières.

Le IVe livre du Ier volume, sous le nom de Méthodique des organismes, mérite une attention toute spéciale. Les six chapitres entre lesquels il se divise traitent successivement : 1o de l’expérience et de la philosophie ; 2o de l’analyse et de la synthèse ; 3o de l’induction et de la déduction ; 4o du dogmatisme et de la critique ; 5o de la téléologie et de la causalité ; 6o du dualisme et du monisme.

La conviction commune qui les inspire, c’est que la science et la philosophie ne font qu’un ; qu’elles ont le même objet et la même méthode ; que l’expérience enfin épuise toute notre connaissance de la réalité. « Nous avons, pour notre compte, la conviction inébran-