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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

de la force, on n’y vit d’abord, il faut bien le reconnaître, qu’une garantie en faveur de l’éternité de la vie universelle. Helmholtz avait énoncé comme suit le principe de la conservation de la force : La quantité de force capable d’agir, qui existe dans la nature inorganique, est éternelle et invariable, aussi bien que la matière. De cette formule découlait une proposition négative : c’est que l’homme ne peut créer du travail. Mais, à la rigueur, il ne s’ensuivait pas qu’il ne pût faire servir toute cette force à son usage.

Déjà cependant, en 1824, le célèbre Carnot avait fait connaître une loi qu’on peut mettre sous cette forme : Il n’y a que la chaleur qui passe d’un corps chaud à un corps plus froid, qui puisse être transformée en travail[1].

C’est, croyons-nous, W. Thomson qui, le premier, a lu dans les équations de Carnot un arrêt de mort pour l’univers.

Enfin, nous devons à Clausius la théorie complète de la loi qui porte son nom et de ce cycle par où passent nécessairement les transformations qui tendent à ramener la force à son premier état. La vie universelle descend le long d’une hélice aux spires de plus en plus étroites, ou d’une espèce de loxodromique, image exacte de son évolution de plus en plus pénible et du sort final vers lequel elle gravite. Rappelons en quelques mots la substance de cette loi.

On sait depuis le milieu de ce siècle que le mouvement peut se transformer en chaleur et que la chaleur peut produire du mouvement. Mais les deux transformations ne sont pas le complément l’une de l’autre. Le mouvement, lui, peut se convertir tout entier en chaleur. Ainsi, lorsque deux masses de plomb égales et se mouvant en sens opposés sur la même droite avec la même vitesse se rencontrent, l’arrêt de leur mouvement cause leur échauffement, et cela sans intermédiaire. Mais si l’on voulait, avec la chaleur produite, recréer le mouvement qui lui a donné naissance, il faudrait pouvoir la faire passer sur un corps au zéro absolu de température et capable de se maintenir au zéro absolu, bien qu’on lui fit absorber de la chaleur. Or c’est là une chose radicalement impossible. Il n’y a pas de milieu au zéro absolu, et, s’il y en avait un, il ne resterait tel que pendant un instant infiniment court.

Une partie seulement de la chaleur peut donc se transformer en mouvement ; cette partie est fonction de la différence qu’il y a entre la température de cette chaleur et celle du corps auquel on peut la transmettre. Or, à mesure que le milieu s’échauffe, les inégalités s’amoindrissent ; et, si le temps arrive où la chaleur sera uniformé-

  1. Et encore n’est-ce qu’une partie de cette chaleur.