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ce que nous appelons l’auteur de l’Organon ou l’inventeur de l’hydrostatique, de même qu’ils ne cesseront pas de réapparaître à des époques déterminées dans la suite des temps, auraient déjà été précédés de milliers et de milliers de génies absolument semblables.

Enfin — conséquence bizarre et cependant incontestable, que les partisans de la périodicité n’ont jamais aperçue, que je sache — cette reproduction du passé ne pourrait se faire que si le temps revenait sur ses pas. Il faudrait qu’à partir d’un certain moment, l’univers retournât en arrière, que l’eau de l’océan refluât dans les fleuves, qui eux remonteraient vers leur source pour s’y changer en pluie ascendante et en nuages. Il faudrait que les arbres de nos forêts se missent à décroître et à rentrer dans leurs graines en rendant à la terre et à l’air ce qu’ils lui ont pris, et que peu à peu les fougères et les prêles revêtissent de nouveau les continents de leur verdure monotone, à l’ombre de laquelle se reposeraient les iguanodons, pendant que les ichthyosaures ravageraient les mers. Et toutes ces transformations se feraient dans l’ordre inverse, le vieillard redevenant enfant, la poule se refaisant œuf, la plante retournant à l’état de semence, les corps combinés se dissociant, la gravitation étant remplacée par l’expansion ; jusqu’à ce que l’univers, revenu à son état primitif, recommençât le même cycle en sens inverse. Or c’est là non seulement une improbabilité, non seulement une impossibilité, mais une véritable absurdité, puisque, après chaque demi-révolution, les lois de la nature, que l’on proclame immuables, cesseraient d’agir et seraient remplacées par leurs contraires.

Le principe que la cause est tout entière dans ses effets, est donc faux, si l’on y voit cette conséquence que les effets peuvent reproduire la cause. Un état passé ne peut se reformer par la seule action des forces, supposées constantes, qui l’ont amené ; il faut, pour cela l’intervention d’une puissance libre. Et, quand nous énonçons cette proposition, nous entendons par là non pas nécessairement un état passé de l’univers pris dans son ensemble, mais même simplement l’état d’une seule de ses parties, si petite qu’on la prenne. Car, ainsi que nous le verrons plus loin, l’univers entier se reflète dans la moindre de ses particules. Or il est impossible, par exemple, qu’aucune des gouttes d’eau qui se sont formées jadis, puisse jamais, en l’absence d’une volonté libre, se reconstituer intégralement, c’est-à-dire avec les mêmes atomes d’hydrogène et d’oxygène combinés et disposés de la même façon. Ainsi donc, nous pouvons affirmer d’une manière générale et absolue qu’un état passé, universel ou partiel, ne peut se reproduire.

Quand on proclama pour la première fois la loi de la conservation