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DELBŒUF. — déterminisme et liberté

II

Loi de la fixation de la force. Ni cette loi, ni celle de la conservation de l’énergie ne sont en contradiction avec le libre arbitre.

Dans un travail antérieur[1], je me suis longuement occupé du principe de la conservation de la force, et j’ai fait voir qu’il était nécessaire d’y adjoindre un autre principe supérieur, celui de la fixation de la force. De cette critique ressortaient diverses conséquences, entre autres celle-ci que ce qu’on appelle force, à savoir la quantité de mouvement, n’est pas en soi une cause de transformation, et que cette cause, qui mériterait à plus juste titre le nom de force, réside dans la différence des mouvements ou, à parler d’une manière plus précise, dans un défaut d’équilibre. Je résume ici en partie, et je complète ce que j’ai dit alors, renvoyant pour certains détails le lecteur aux articles originaux.

C’est aujourd’hui presque une banalité de dire que rien ne se perd dans la nature, ni la matière ni la force. Et cependant, entendu comme tout le monde l’entend, cet axiome est faux et radicalement faux. On l’interprète d’habitude en ce sens que « tout changement engendre un changement capable de le reproduire sans gain ni perte[2] ».

Ni au point de vue logique, ni au point de vue de la théorie, le mouvement ne peut être indestructible. D’abord, s’il en était ainsi, il y aurait des effets sans cause. Supposons que, après une série de changements, l’univers pût revêtir un des états par lesquels il a passé, tout ce qui serait arrivé entre ces deux états semblables aurait été tiré de rien. Si, par exemple, il était possible que le monde revînt, sans gain ni perte, à ce qu’il était aux temps d’Alexandre ou de Marcellus, et comptât de nouveau au nombre de ses gloires un Aristote ou un Archimède, tous les événements dont il a été et aura été le théâtre dans l’intervalle des deux époques, seraient le produit d’une véritable création.

De plus, un pareil retour implique nécessairement un mouvement périodique, lequel se reproduira sans fin ni trêve ; et, par conséquent,

  1. Le sommeil et les rêves, etc., Revue philos., février 1880, p. 137 et suiv. ; voir aussi la conclusion, juin 1880, p. 614 et suiv. ; voir aussi la conclusion, juin 1880, p. 614 et suiv.
  2. Taine, De l’intelligence, préface de la 2e édition.