Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/614

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
610
revue philosophique

tout le principe de la conservation de l’énergie qui lui-paraît contenir la preuve la plus solide de l’excellence de sa cause.


I.

Preuve de l’existence de la liberté.

Exposé du mécanisme.

Donnons la parole à M. du Bois-Reymond[1] :

« Le principe de la conservation de l’énergie signifie que la force ne se produit et ne se détruit pas plus que la matière. L’état du monde entier, y compris celui d’un cerveau quelconque, est à chaque instant le résultat mécanique absolu de son état précédent et la cause mécanique absolue de son état dans l’instant suivant. On ne saurait admettre que deux événements ni deux pensées soient également possibles dans un temps donné ; les molécules cérébrales ne peuvent se disposer que d’une seule manière, comme les dés ne peuvent tomber que d’une manière dès qu’ils sont sortis du cornet. Une molécule quittant sa place ou sortant de sa route sans raison suffisante serait un aussi grand miracle que si Jupiter, sortant de sa voie elliptique, jetait la perturbation dans le système planétaire. »

Dans ce passage, M. du Bois-Reymond vise surtout le monisme qui voit dans nos déterminations volontaires « des phénomènes qui accompagnent nécessairement, quoique d’une manière incompréhensible, les mouvements et les dispositions de notre substance cérébrale ; » mais il n’en est pas moins lui-même un adepte convaincu de la doctrine prédéterminisme.

Dans un autre discours[2], resté célèbre, il exprimait en ces termes la conséquence des principes qui viennent d’être rappelés :

« On peut concevoir une connaissance de la nature telle que tous les phénomènes de l’univers y seraient représentés par une formule mathématique, par un immense système d’équations différentielles simultanées, qui donneraient pour chaque instant le lieu, la direction et la vitesse de chaque atome de l’univers. « Une intelligence, » dit Laplace[3], qui, pour un instant donné, connaîtrait toutes les

  1. Die sieben Welträthsel. Je reproduis la traduction qui a été donnée de ce passage dans la Revue philosophique de février 1882.
  2. Ueber die Grenzen des Naturerkennens. Conférence tenue à Leipzig, le 14 août 1872. Voir la Revue scientifique du 10 octobre 1874.
  3. Essai philosophique sur les probabilités.