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DETERMINISME ET LIBERTÉ

(2e article)[1].

Le déterminisme, comme doctrine, est aussi ancien que la pensée humaine. Il a revêtu différentes formes depuis Thalès jusqu’à Leibniz, en passant par Buridan. Les Stoïciens et les Épicuriens, les Pères de l’Eglise et les scolastiques, l’islamisme et la Réforme, les Cartésiens et les empiristes, bon gré mal gré, l’épousèrent. Là l’idée du capricieux hasard, ici celle d’un plan créateur, tantôt la notion d’une puissance directrice toujours présente, tantôt celle d’une nature immuable dans ses lois, faisaient admettre aux esprits, comme conséquence, l’aveugle fatalité ou l’harmonie préétablie, la contrainte incessante de la Providence ou l’engrenage général de toutes les parties de l’univers.

De ces divers systèmes, le dernier a toujours eu le privilège de séduire les penseurs qui cultivent les sciences positives ou naturelles. La raison en est palpable. On ne peut soumettre au calcul le hasard ou les décrets de la divinité. Du moment qu’on croit avoir découvert dans la marche des choses la main brutale du destin, ou la marque d’une volonté éternelle, ou l’intervention constante d’une intelligence suprême, tout est dit on n’a plus qu’à se soumettre et à laisser les phénomènes suivre leur cours. Non seulement on n’y peut rien changer, mais on ne peut même les prévoir. Tout au plus, comme mû par l’idée vague d’un certain rapport momentané et fugitif entre les événements, peut-on, dans un but de vaine curiosité, se livrer à une espèce de calcul des probabilités et essayer de lire dans les astres ou dans les entrailles d’un animal quelle tournure les choses ont l’air de prendre ; ou bien, partant de cette hypothèse que la raison humaine est le reflet de la raison divine, se hasarde-t-on à tenter de pénétrer les motifs qui ont guidé ou qui guident « celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires. »

Autre est le rôle de l’intelligence en face d’une nature soumise à des lois éternelles. La connaissance de ces lois, étudiées dans le présent, nous donne la clef du passé et de l’avenir. L’imprévu n’est

  1. Voir le numéro précédent de la Revue.