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NOLEN. — le monisme en allemagne

festement les données de la science. Il affirmait que la pensée sort de la matière, c’est-à-dire du mouvement : or la science n’avait établi qu’une chose, à savoir que le mouvement ou la matière accompagnent toujours la pensée. Les partisans les plus déclarés du mécanisme scientifique, qu’ils l’appliquassent aux propriétés physiques ou aux propriétés biologiques des corps, n’avaient pas hésité à reconnaître que le mécanisme n’atteint que les conditions extérieures, non l’essence intime de la conscience et de la pensée. Les déclarations de Virchow à ce sujet sont formelles.

Dès 1849, dans un article sur les tentatives d’unité dans la médecine scientifique, il s’exprimait en ces termes : « À mon avis, le point où le besoin d’explications transcendantes a surtout ses racines et où il peut le mieux se justifier, c’est notre ignorance sur l’essence de la conscience. Ni la philosophie ni la science n’ont été en état jusqu’ici de faire autre chose que de reconnaître le simple fait de la conscience[1]. » Et en 1854, dans un important article sur l’empirisme et la transcendance, il s’exprimait avec plus de force et de précision encore : « Nous avons maintes fois déclaré que nous considérons le fait assurément incontestable de la conscience comme absolument inexplicable au sens scientifique du mot. » Sans doute, il n’en soutenait qu’avec plus d’énergie que toute notre science de la pensée se réduit à la détermination de ses conditions mécaniques, comme dans le discours qu’il prononça à Hanovre vers 1860 et qui souleva tant de protestations passionnées. Mais il n’en demeure pas moins constamment fidèle à la pensée qui dictera plus tard à Dubois-Reymond son célèbre ignorabimus et qu’on retrouve au fond du mécanisme pourtant si décidé des savants les plus éminents du temps, comme Donders, Wundt, Helmholtz, etc.

Le matérialisme ne choquait donc pas moins le sens critique des savants que celui des philosophes par sa tentative de ramener la pensée à la matière. La rigueur scientifique exigeait qu’on maintint la distinction, tout en affirmant la corrélation des deux éléments au sein de la réalité. Mais à ce compte l’unité de l’être était brisée, cette unité que la science avait paru confirmer et que réclame l’impérieux instinct de la raison. C’est à une philosophie plus compréhensive que le matérialisme qu’il fallait en demander le secret.

Les doctrines qui affirment partout la coexistence de la pensée et du mouvement, comme celles de Spinoza et de Leibniz, ne pouvaient-elles être utilement consultées ? La science ne justifiait-elle pas, au nom de l’expérience, les intuitions métaphysiques de ces penseurs ?

  1. 7e vol., 1er livr., p. 3, des Archives pour l’anatomie et la physiologie.