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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

terminé, rien qui ressemble à un plan préconçu, à une forme typique ; les organes sont l’œuvre évidente des circonstances, tandis que dans l’évolution des formes, quand on admet la théorie proposée, tout semble converger de la manière la plus simple et la plus directe vers la constitution des individualités. Or nous croyons que, au fond, tout au fond, M. Perrier ne pouvait s’accommoder d’une théorie de l’évolution organique qui supprimât la prédétermination dans la direction de la marche évolutive. Il a bien çà et là protesté contre le plan préconçu et même énergiquement (p. 746) ; il a bien invoqué et hautement l’action du milieu pour expliquer les formes revêtues selon les circonstances par les « colonies ». Son ouvrage apporte même par là une précieuse contribution à la théorie déterministe, mécaniste de l’évolution biologique ; il n’en est pas moins vrai qu’à la fin de son ouvrage, comme au début, il n’a pu se résoudre à rejeter complètement l’impulsion première, en d’autres termes la finalité. Entre les deux sortes de causes qu’il invoque, il y a dans son esprit comme un conflit sourd et permanent ; aucun des deux n’est éliminé complètement, mais en fin de compte c’est le finalisme qui l’emporte.

On se rappelle que, dès le début de son ouvrage, M. Perrier s’est efforcé d’établir que les premiers protoplasmes renferment « certaines forces immanentes », « certains ressorts cachés dont ne tiennent pas compte les partisans de l’origine chimique de la vie » (p. 41), et que l’œuf des animaux actuels possède encore en raison de cette impulsion initiale « une faculté d’évolution dont la nature nous échappe » (p. 104). Arrivé au terme de son histoire des organismes, après avoir montré « qu’il y a un lien étroit entre le type que revêt chaque forme de colonie et ses conditions d’existence » (p. 404), après avoir déclaré plusieurs fois que la genèse des organismes s’opère suivant un mode « qui n’a rien de mystérieux » sous la double action des circonstances (milieu externe) et de la place que chaque partie occupe dans l’ensemble (milieu interne), action conservée et condensée par l’hérédité, après avoir été peut-être lui-même quelque peu troublé par la force croissante de ces considérations d’ordre purement scientifique, quand il se trouve en présence de l’individualité humaine, du moi psychologique, et que ses principes antérieurement acceptés le somment en quelque sorte de le rattacher aux mêmes causes, il s’arrête et se reprend. Si, en effet, il admettait que l’individu psychique n’est que l’écho du consensus organique, et que celui-ci est le résultat d’une évolution conduite par le déterminisme universel, il donnerait implicitement les mains à toutes les conséquences qu’on a tirées du déterminisme évolutionniste, dans l’ordre psychologique, moral, religieux ; il de-