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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

le polymorphisme, la loi d’économie, l’attraction des tissus semblables, l’accélération métagénésique ; ces causes agissent en effet et très puissamment ; mais, si la théorie est vraie, elles ne peuvent agir que dans l’enceinte de chaque méride dans le zoïde, ou de chaque zoïde dans le dême ; les organes en effet « résultent de la division du travail qui s’est accomplie entre les éléments anatomiques des mérides ». Or chaque plastide ne peut, suivant la théorie, se modifier qu’en vue du méride auquel il appartient ; il ne connaît que lui, pour ainsi dire, comme le soldat ne connaît que le capitaine de sa compagnie et ne reçoit jamais directement les ordres du général. Autrement, l’individualité supérieure, celle du zoïde tout entier, se subordonnera directement les plastides. Sans l’intermédiaire des mérides, l’organe se rattachera directement à l’individu total, et l’individu total, au lieu d’être un composé de mérides, sera simplement un organisme au sens où tout le monde le prenait avant le livre de M. Perrier.

C’est là, c’est dans cette théorie de l’organe, qu’est le point faible qu’il suffit de frapper pour ébranler toute la doctrine. M. Perrier n’a pas vu en effet qu’à mesure qu’une individualité supérieure se constitue, les individualités secondaires qui ont pu à l’origine entrer comme éléments dans ce tout nouveau, s’évanouissent et se résorbent, comme les ligues électorales après l’élection. Désireux d’obtenir la plus grande clarté possible, il a doué ces individualités essentielles, comme il les appelle, originaires et constitutives, d’une réalité objective qu’elles ont pu avoir un moment dans l’histoire des formes vivantes, mais qu’elles ont perdue dans les nouveaux agrégats dont elles ont fait partie, et il les a ensuite superposées les unes aux autres, comme les compagnies d’un bataillon, les bataillons d’un régiment et les régiments d’un corps d’armée, sans s’apercevoir que pendant l’opération les unités intermédiaires se fondaient les unes dans les autres, et qu’il ne lui restait plus que des soldats de diverses armes (les tissus), mais sans numéros de régiment. Qu’est-il arrivé ? Quand il a voulu s’y reconnaître, il a dû forcer les différences et prendre pour des preuves de groupement polymérique défini de simples vestiges de la segmentation originelle, comme si, l’armée une fois dispersée, on prétendait retrouver des bataillons dans les cortèges civils, aussitôt que des groupes distincts s’y forment. Il a même accordé quelque peu à la fantaisie dans l’attribution des appendices aux divers segments chez les Articulés, dans la reconstitution des ganglions de chaque anneau chez les Mollusques, et dans… je me trompe : pour les Vertébrés, il a jugé prudent de s’abstenir. Car enfin on ne peut considérer comme une preuve