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queue prenante sont peut-être une série d’individus morphologiques ; à eux tous ils ne sont qu’un organe. On peut dire que cette transformation est la loi, dès qu’une individualité supérieure embrasse en se constituant des individus subordonnés, dès qu’une pluralité d’éléments s’organise en une totalité biologique nouvelle. 2o L’organe peut devenir un individu[1]. La méduse passe du rang d’organe reproducteur au rang de zoïde. La comatule de même. Le bras de l’astérie est un véritable organe avant de se séparer du disque pour vivre d’une vie individuelle. L’axe des Coralliaires libres ou fixés prend un rôle prépondérant comme siège de la circulation générale. Le cloaque de l’ascidie composée joue dans le cormus le rôle que joue la tête dans les « colonies » linéaires. Ce chassé-croisé montre bien le caractère accidentel des attributs auxquels on croit reconnaître l’individu de l’organe.

Si donc il est vrai que l’individu peut se changer en organe et l’organe en individu, il faut en conclure que l’organe et l’individu appartiennent à la même série, ne sont, comme nous l’avons soutenu, que deux cas particuliers d’une même évolution. Autrement, on ne comprendrait pas comment tous les organes tendent à s’unifier, à s’individualiser, même alors qu’ils ne peuvent, en raison de la complexité et de la solidarité de l’organisme dont ils font partie, prétendre à se séparer de l’ensemble. Eh quoi ! voilà une masse organique comme l’estomac, comme le cœur, comme le cerveau, qui sont faits de pièces et de morceaux empruntés aux divers mérides d’un zoïde ; comment expliquez-vous qu’ils se soient différenciés et centralisés au point où nous les voyons et qu’ils tendent toujours à se différencier et à se centraliser davantage ? Dans la théorie de l’individualité telle que vous l’exposez, le polymorphisme des individus subordonnés se conçoit ; on peut admettre que les formes individuelles du second, du troisième et du quatrième ordre soient en quelque sorte des centres d’attraction pour les individus d’ordre inférieur qu’ils comprennent ; mais les organes, qui n’ont jamais été des individus, qui ne le deviendront jamais d’après la théorie, qui en effet dans la plupart des cas ont cessé de pouvoir aspirer à ce rôle, pourquoi les lambeaux de mérides dont ils seront faits nécessairement, puisqu’ils n’ont pas de type morphologique propre, concourent-ils à les former ? On invoque

  1. Col. animales, p. 348. « En raison même de l’indépendance primitive des éléments anatomiques, indépendance qui n’est jamais complètement aliénée, un groupe quelconque de ces éléments est un candidat au titre d’individu et devient réellement tel s’il peut arriver à s’isoler de l’organisme dans lequel il s’est produit et à vivre par lui-même. » — « Il peut y avoir et il y a dans bien des cas une absolue équivalence entre l’individu et l’organe. » Voir tout ce passage, qui est en contradiction formelle avec la conclusion.