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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

les animaux ont des organes, mais ne sont pas seulement des ensembles organiques ; ils sont une série d’individus.

Or nous pensons que cette conception de l’organe est inexacte et que, par suite, la conception connexe de l’individualité l’est aussi.

Pour nous et pour tous les naturalistes évolutionnistes, l’organe et l’individu appartiennent à la même série ; il n’y a entre eux qu’une différence de degré, purement accidentelle. L’aspect défini des formes et la motilité propre résultent dans beaucoup : de cas de l’unité vitale ; mais ils n’en sont que la traduction extérieure et il arrive que ces caractères, tout sensibles, sont en contradiction avec le caractère fondamental, qui est le concours des fonctions. De là suivant les divers points où se fait la concentration vitale, un perpétuel changement de rôle des diverses masses organiques dans un même type inférieur en voie d’évolution. En effet : 1o L’individu, plastide, méride, zoïde, peut devenir un organe. M. Perrier le reconnaît expressément pour les syphonophores (p. 764) : « Des individus qui se sont directement associés pour composer la colonie, qui la formaient à eux seuls, qui étaient primitivement tous égaux entre eux, peuvent donc déchoir de leur rang et tomber à l’état d’organes. L’individualité de l’organe, appelé à remplir dans l’économie du siphonophore un rôle déterminé, et celle du polype qui s’est associé à ses égaux pour former le siphonophore, se confondent. » C’est à une exception, ajoute l’auteur[1]. En aucune manière, C’est là ce qui se passe normalement et dans tous les cas, dans tous ceux du moins où les circonstances provoquent l’établissement d’un consensus organique quelque peu élevé entre les individualités composantes. C’est ce qui se passe même dans les colonies, où, bien que le cormus ne s’élève pas au rang d’animal personnel, chaque polype est atteint cependant par la division du travail et adopte une fonction et une forme distinctes. La vie libre n’est pas même nécessaire pour cela. Exemple les médusaires. Nous avons vu M. Perrier décrire ce processus d’après Moseley. C’est ce qui se passe chez les Echinodermes, où les bras, individus morphologiques, deviennent physiologiquement de simples organes locomoteurs. L’aviculaire des Bryozoaires est également un individu « déchu » au rang d’organe. Les différentes parties de la tête chez les arthropodes nous montrent des individus transformés de la même manière et devenus absolument méconnaissables. M. Perrier n’essaye même pas de distinguer, ne serait-ce qu’approximativement, les divers individus composant la tête des vertébrés, tant ils y sont complètement fusionnés (p. 117) ; les vertèbres caudales des singes à

  1. Colonies animales, p. 249.