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était démontrée d’abord par la doctrine de l’équivalence mécanique. Bientôt l’analyse spectrale et la chimie atomistique venaient établir l’unité de composition chimique de tous les corps connus. Tous les problèmes de la physique et de la chimie étaient successivement réduits à des problèmes de mécanique.

En même temps, les découvertes de Schleiden et de Schwann ramenaient la structure et la fonction de tout organisme aux activités primordiales et rudimentaires des cellules. La vie n’était plus seulement une propriété du tout organisé : elle se retrouvait, avec ses propriétés essentielles, dans chaque cellule. À l’unité des éléments physiques de la matière s’ajoutait l’unité des éléments biologiques. Mais cette activité biologique de la matière n’était à son tour qu’un mode de l’activité mécanique, ainsi que s’appliquait à le démontrer Virchow dans ses belles conférences sur l’explication mécanique de la vie (Carlsruhe, 1858), sur les atomes et les individus (Berlin, 1859), sur la vie du sang (Berlin, 1859). Jamais le déterminisme mécanique n’avait été affirmé avec plus d’autorité et de force, comme la loi de l’organisme aussi bien que de la matière. « Ce qui nous paraît particulier dans les corps vivants, c’est le genre d’activité, ce sont les fonctions spéciales de la substance organique ; et cependant cette activité, ces fonctions ne diffèrent pas de celles que la physique étudie dans la nature inorganique. » (Virchow, Discours sur la conception mécanique de la vie[1].)

Il semblait pourtant encore que les propriétés spécifiques des êtres vivants, celles qu’étudie la zoologie, échappassent aux explications du mécanisme. C’est alors que Darwin publia son grand ouvrage de l’Origine des espèces (1858), où la formation successive des espèces vivantes est ramenée à son tour aux principes d’un mécanisme spécial, le mécanisme évolutioniste, aux lois de la descendance et de la sélection. Les principes et les méthodes de la science promettaient ainsi d’épuiser l’explication du monde physique.

Il semble que toutes ces conquêtes de la science eussent dû profiter à la cause du matérialisme et ajouter au succès déjà si éclatant de Vogt, de Moleschott et de Buchner. Mais si les règles du mécanisme scientifique s’accordaient parfaitement avec les dogmes essentiels du matérialisme, s’il était permis de ne voir dans la théorie de l’équivalence mécanique comme dans celle de l’évolution que des applications inespérées de la doctrine, qu’un heureux développement ou un utile correctif de ses affirmations antérieures et provisoires, il est un point où le matérialisme était condamné à contredire mani-

  1. Traduits dans la Revue scientifique, 1866.