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humain lui-même se forme comme une colonie linéaire, les anneaux s’ajoutant les uns aux autres d’avant en arrière. C’est une segmentation, mais extrêmement accélérée par les effets de la transmission héréditaire. Des cloisons s’opposent chez le crustacé à la mise en commun des organes segmentaires ; chez l’annélide, le contact est libre : il aboutit à un fusionnement nécessaire, De l’annélide à parois communicantes est sorti par gradations le vertébré. Seulement, dans cette évolution, l’animal s’est retourné entièrement, parce que l’accroissement extrêmement rapide du système nerveux dans la vie embryonnaire a contraint la bouche à changer de situation. Il en est résulté qu’à partir de ce moment nous avons eu la chaîne des centres nerveux derrière le dos, alors que les insectes la portent devant eux, et tout l’être en a reçu une orientation différente.

« Ainsi, non seulement on peut affirmer que le vertébré est bien, comme les autres, un animal composé, mais on peut démontrer aussi que les individus qui le composent devaient à l’origine ressembler beaucoup à ceux qui ont constitué les vers annelés et qui ont encore conservé chez ces animaux leur indépendance presque entière. » (p. 691.) Par là se trouve confirmée l’assertion de Vulpian : « Ce qui est vrai ici (pour les ganglions des animaux articulés) l’est aussi pour chaque segment de la moelle des vertébrés. La moelle épinière, de même que la chaîne ganglionnaire des annelés, est une série linéaire de centres à la fois indépendants et gouvernés. Permettez-moi cette comparaison, ce sont des provinces avec une administration autonomique, mais soumises dans certaines limites à une autorité supérieure[1]. »

IV

Ce qui se dégage de cet immense travail, c’est une théorie nouvelle de l’individualité fondée sur la sociologie. Une conception philosophique en est l’âme. Point de faits nouveaux, mais des vues, une interprétation, une synthèse nouvelles. M. Perrier craint au fond de se compromettre aux yeux des savants en avouant les emprunts qu’il a faits à des philosophes. Philosophe lui-même ! c’est par l’opiniâtre développement d’une idée que son livre, tout plein des recherches des autres, surpasse bien des mémoires partiels où ces recherches

  1. Physiologie générale du système nerveux, cité par M. Perrier, p. 668.