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bouche que tous les organes de la vie de relation se sont reportés peu à peu. Un crustacé, pour avoir élu domicile dans les coquilles d’un mollusque, s’est modifié de la même manière ; le corps du Bernard l’Ermite est devenu un cylindre mou, asymétrique, dépourvu d’anneaux. Le long temps depuis lequel cette adaptation agit sur les mollusques a effacé toute trace de la segmentation, et l’accélération embryogénique a fait le reste.

Nous arrivons enfin aux vertébrés. « Si étrange que soit au premier abord cette affirmation, l’histoire de l’embranchement du règne animal dont nous faisons partie n’est que la continuation de celle des vers annelés. Comme les vers annelés, comme les animaux articulés, les vertébrés, malgré l’unité apparente de leur organisme, sont formés de segments, d’individus placés bout à bout et qui sont arrivés à se fusionner. »

It y a longtemps que les biologistes ont décomposé le squelette des vertébrés en segments ; on peut confirmer cette vue en signalant les traces de segmentation visible dans l’économie du système nerveux, dont les principaux faisceaux se distribuent en séries symétriques de chaque côté de la moelle et qui président, comme le montrent les mouvements réflexes, à l’innervation de régions musculaires distinctes. Mais, en supposant même que l’on fasse dériver la tête et les membres des vertèbres modifiées, comme l’ont voulu certains naturalistes, encore ne pourra-t-on s’empêcher de reconnaître l’unité apparente de l’individu chez lequel la fusion harmonieuse de toutes les parties internes et externes, l’indépendance des organes essentiels : uniques ou doubles par rapport aux segments vertébraux, non moins que la solidarité physiologique et psychologique de toutes les régions du corps semblent exclure toute multiplicité autre que celle des éléments histologiques.

Il faut donc trouver un argument nouveau, plus topique que ceux précédemment cités. Une foule d’analogies prêtent à la thèse un aspect séduisant, car « ne serait-il pas étonnant que, après avoir composé l’éponge d’Olynthus, la méduse et le coralliaire de polypes hydraires, le siphonophore d’hydres et de méduses, l’annélide et l’insecte de trochosphères ou de nauplius soudés bout à bout, qu’après avoir tiré de cette souche le mollusque et l’arachnide, la nature ait constitué le vertébré d’une seule pièce, par, une simple association de cellules accumulées en nombre infini et prodigieusement variées ? » Mais les analogies ne suffisent pas.

Or on conçoit que si les organes servant à la nutrition et à la circulation doivent être et sont en effet unifiés de bonne heure dans la série des individualités, il n’en est pas de même des organes de