Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/593

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
589
A. ESPINAS. — études sociologiques en france

n’est, de l’avis de M. Perrier (qui ne dit pas cependant s’il a fait l’expérience), une simple légende (p. 732).

Les Annélides marines présentent les mêmes phénomènes que les vers aquatiques, mais avec des particularités de mœurs fort intéressantes que nous ne pouvons, faute de place, exposer ici. Chez l’Autolyte, deux individus vivent quelque temps bout à bout : l’un équivaut au polype agame des Hydraires, l’autre au polype sexué ; celui-ci finit par conquérir une liberté de mouvement dont il se montre depuis longtemps impatient et voyage comme la méduse. Ou encore on peut dire qu’il y a chez ces Annélides deux animaux accolés qui sont l’un à l’autre ce que le papillon, individu sexué, est à la chenille individu nourricier, avec cette différence que la chenille des lépidoptères a perdu la faculté de s’accroître par bourgeonnement et d’engendrer son papillon. À travers des gradations assez bien ménagées, on arrive par les Syllis, les Myrianides et les Filigranes à un état nouveau où les deux animaux sont pour ainsi dire rentrés l’un dans l’autre et sont devenus un seul animal, chez lequel les deux groupes de fonctions, jadis séparés, entrent en jeu successivement. Ainsi le citoyen moderne accomplit à des phases successives de sa vie des fonctions militaires et civiles qui étaient dévolues autrefois à des individus distincts. La complication de ces organismes résulte, selon M. Perrier, « d’une accélération des phénomènes de reproduction agame ; à mesure que les diverses parties de la colonie deviennent plus étroitement solidaires, le développement de l’annélide tout entière s’accélère de plus en plus. » Il part de là pour décrire, interpréter suivant la théorie sociologique, et rattacher aux conditions du milieu, tous les détails morphologiques des annélides. Tous ces chapitres, où éclate la compétence spéciale du savant naturaliste, résistent à l’analyse par leur mérite même et la densité de leur contenu. Nous devons faire appel à toute notre raison pour ne pas reproduire ici dans ses détails l’histoire de cette singulière lutte entre la tête et la queue qui se fait chez l’annélide tubicole, l’une des extrémités prétendant à usurper les fonctions de l’autre. Et en effet, quand la tête, au lieu de comprendre, comme chez les arthropodes, un groupe d’anneaux hautement différenciés, ne consiste qu’en un seul anneau où s’ouvre le tube digestif, ses droits à la prééminence sont des plus faibles, et, si l’annélide quitte son tube pour une promenade, il devra arriver que la queue n’étant pas embarrassée d’appendices respiratoires ou autres, et possédant des yeux, prenne la tête du convoi. Les ganglions cérébroïdes, par suite, ne sont pas toujours très développés chez les annélides, et on en voit chez qui, en l’absence de l’anneau céphalique, les mouvements restent longtemps coordonnés (Euni-