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NOLEN. — le monisme en allemagne

jettir la recherche métaphysique aux méthodes qui semblaient n’appartenir qu’à la science. Les monistes d’aujourd’hui identifient la métaphysique à la science, en sacrifiant la [première à la seconde. De même que la réalité est une, la méthode aussi est unique : il n’y a qu’une vérité, celle que la science démontre. Qu’on ne cherche plus avec Kant à distinguer entre la science et la croyance, entre la certitude théorique et la certitude morale. Qu’on parle moins encore sans doute avec Hegel de subordonner la vérité scientifique à la vérité métaphysique. Ce qui échappe à la prise de l’expérience n’a pas plus de valeur pour la conscience que pour l’entendement. Le savant tient dans sa main, avec le calcul et l’expérience, les deux clefs de l’énigme universelle.

Nous ne prétendons pas sans doute que tous les partisans du monisme professent une foi illimitée dans la vertu de la science ; et la diversité des formes du monisme contemporain répond assez bien aux degrés différents de cette confiance inégale. Il n’en reste pas moins vrai que le trait caractéristique de la nouvelle doctrine est la tendance commune de ses partisans à étendre de plus en plus le domaine de la science et à y faire rentrer les diverses provinces, dont l’ancienne métaphysique avait la possession incontestée.

Ces récentes prétentions du génie scientifique font songer aux ambitieuses poursuites de l’idéalisme transcendant. On se demande avec étonnement comment la science a repris si facilement, pour son compte, l’entreprise discréditée des théoriciens de l’absolu ; comment le dédain de la spéculation et le culte exclusif des recherches de détail, qui semblait devenu la loi des esprits scientifiques, ont fait place tout à coup au goût impérieux des généralisations hypothétiques, des synthèses aventureuses ; comment enfin la philosophie de la nature, longtemps décriée parmi les savants, a reconquis si promptement la faveur de ses premiers adversaires.

La raison en doit être cherchée dans la tendance persistante de l’esprit, qui ne peut pas plus se reposer dans l’analyse que dans la synthèse et qui ne se donne momentanément à l’une que pour s’éprendre ensuite de l’autre avec plus de force. C’est aussi que la science contemporaine venait par d’éclatantes découvertes d’apporter aux inventions trop oubliées des génies synthétiques du passé la confirmation inattendue et l’autorité indiscutée de l’expérience.

Robert Mayer posait vers 1842 les fondements de la théorie mécanique de la chaleur. Toutes les forces de la nature allaient être considérées désormais comme de simples modes du mouvement, L’expérience se chargeait de justifier les principes généraux de la cosmologie cartésienne. L’unité des propriétés physiques de la matière