Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
582
revue philosophique

l’éponge et l’hydre, est lui-même une pluralité ordonnée de cellules conspirantes.

C’est donc dans le pouvoir de multiplication dont l’hydre se montre douée à un si haut point et dans la faculté qu’a chaque groupe de cellules de reproduire l’évolution de l’hydre entière qu’il faut chercher l’origine de toute cette série de phénomènes aboutissant à la formation d’individus du troisième degré. L’hérédité s’explique sans peine là où la reproduction n’est qu’une suite de la nutrition. Petits et parents ne sont que la prolongation du même tissu, dont les cellules ont nécessairement les mêmes habitudes vitales, et tendent à reproduire non seulement l’individu simple auquel ils appartiennent, mais de proche en proche toute la colonie. Mais d’où vient la tendance de certaines hydres à se garnir d’individus multiples, dont les cavités communiquent avec celles de la-mère et qui travaillent pour la communauté ? M. Perrier l’attribue simplement à un surcroît de nourriture. L’abondance des aliments rend à la fois la production des bourgeons plus considérable et leur réparation moins utile : c’est ainsi que la population de la colonie s’accroit (p. 189). Nous avions signalé cette hypothèse (p. 234). Les expériences de Trembley, qui a vu une hydre bien nourrie porter dix-neuf petits développés, semblent une confirmation décisive de la théorie. Cependant quelques faits la combattent encore. Ainsi nous voyons M. Giard attribuer chez les Synascidies l’accroissement de la gemmiparité à l’insuffisance de la nutrition[1]  : « Quand la nutrition d’un cormus est insuffisante, le bourgeonnement est activé, comme si la nature s’empressait, en multipliant le nombre des bouches, de subvenir aux besoins de la masse. » Où est la vérité ? D’autre part, Spencer, tout en reconnaissant que l’agamogenèse, c’est-à-dire le bourgeonnement, est favorisé par la nutrition, remarque[2] que « les nouveaux individus ne se forment pas tant que les précédents grandissent rapidement, » en sorte que le nombre des bourgeons serait en raison inverse de leur vitalité et, dans de certaines limites, de la vitalité de la souche. Il attribue de même la gamogenèse ou naissance des organes reproducteurs à un équilibre qui s’établirait entre là nutrition et la dépense ; la plante et l’animal deviendraient féconds au moment où ils sont sur la limite de l’épuisement. Et en effet c’est au printemps, après une période de jeûne et de souffrance, que les végétaux et les animaux manifestent la fonction reproductrice. « Il y a avantage pour l’espèce à émettre des rejetons migrateurs aux points où la nutrition faiblit » (vol. II, § 275). M. Perrier lui-même reconnaît que

  1. Recherches sur les synascidies, p. 82.
  2. Biologie, vol. I, § 78.