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l’espèce fit défaut chez les Protozoaires ; elle ne devait en effet apparaître d’après cette théorie que là où existe la génération sexuée[1]. Mais, d’autre part, M. Perrier insiste fortement sur le caractère spécifique des protoplasmes. Pour éviter d’attribuer leur origine aux variations lentes d’une substance unique, il en fait autant d’êtres distincts, qui ont été du premier coup marqués d’une individualité propre. « Nous connaissons, dit-il, autant de protoplasmes distincts qu’il existe de Monères, et chacun de ces protoplasmes se reproduit non seulement avec tous ses caractères physiques et chimiques, mais encore avec tous ses caractères physiologiques ; les individus vivants qu’il constitue naissent vivants et meurent toujours de la même façon… Chez chacun d’eux, la locomotion, la nutrition et la reproduction s’accomplissent d’une façon particulière. La vie a dans chacune de ces espèces une modalité propre, de même que dans chaque sorte d’atomes chimiques l’affinité présente des caractères spéciaux. Chez les atomes, ces caractères sont originels et dus aux modifications diverses d’une classe particulière de mouvements. L’histoire des monères nous montre également les protoplasmes très différents les uns des autres dès l’origine et même dans les formes les plus simples. Elle ne nous fournit aucun argument en faveur de l’hypothèse que les propriétés particulières de chacun d’eux ont été acquises. Il faut donc admettre non seulement des individus protoplasmiques primitifs, mais encore des espèces protoplasmiques primitives. » (pp. 77, 78.) Comment s’accordent dans la pensée de M. Perrier ces deux assertions non moins formelles : « L’espèce ne saurait exister pour des êtres dépourvus de génération sexuée ; » « et il faut admettre des espèces protoplasmiques primitives ? » Nous avouons ne pouvoir le comprendre. Si M. Perrier avait accordé plus d’importance au phénomène de la conjugaison et eût été moins préoccupé de ses vues à priori sur l’origine de la vie, il eût pu se mettre sans peine d’accord avec lui-même en remarquant que, dans les régions inférieures de la vie, un procédé de croisement incomplet a entraîné une fixité spécifique moindre ; mais il a préféré recourir à « une faculté d’évolution spéciale qui a permis aux uns — à certains protoplasmes — de produire, sous l’action stimulante des agents extérieurs, les êtres vivants les plus hautement organisés, tandis que d’autres n’ont guère pu s’élever au-dessus de leur condition primitive. » Cette faculté ; « les premiers protoplasmes » l’avaient possédée « au moment où ils ont pris naissance ». De même, l’œuf des animaux les plus élevés possède « une faculté d’évolution dont la nature nous échappe, que

  1. Colonies animales, p. 101 et 206.