Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
575
A. ESPINAS. — études sociologiques en france

admis. Mais on peut dire aussi que les individus se sont unis par accessions ultérieures à leur formation, après avoir vécu libres, et parce que leur accolement devenant avantageux a été conservé par l’hérédité, suivant la loi de la survivance des plus aptes. Dans ce cas, le phénomène de la conjugaison, au lieu d’être considéré comme un mode de reproduction ultérieurement acquis en vue des avantages du croisement, deviendrait la cause de la vie sociale ; il serait non plus l’exception, mais la règle chez tous les protozoaires agrégés. Au lieu d’être une simple préparation de la phase ovulaire, il serait la raison déterminante de la segmentation. Nous avons rejeté cette explication, et elle nous paraît encore inexacte ; pourtant, quelques doutes peuvent subsister, M. Schneider a vu des Monobia individuelles, rencontrant une colonie déjà formée, souder leurs pseudopodes à ceux de l’un des individus associés et prendre rang dans la colonie. Hæckel raconte que plusieurs Protomyxa s’unissent pour se fusionner en un plasmodium sphéroïdal. Et chez des animaux plus élevés dans l’échelle, les Ascidies, M. Milne Edwards affirme que la plupart des jeunes se réunissent à la masse d’où elles proviennent[1]. M. Perrier serait sans doute favorable à la seconde hypothèse, puisqu’il tend à envisager le Bathybius — ce qui nous paraît tout à fait inadmissible — comme un produit de monères individuelles fusionnées les unes dans les autres. Il appartenait au savant professeur du Muséum, à moins qu’il ne voulût ignorer systématiquement ses prédécesseurs français, de prendre la question là où nous l’avions laissée et d’y jeter un peu plus de lumière que n’avait pu le faire un simple généralisateur.

Voici enfin un point où nous devons demander à l’auteur quelques éclaircissements sur sa véritable pensée. Remarquant avec M. Terquem et Hæckel l’extrême instabilité des formes chez les protozoaires, il nie chez eux l’existence de l’espèce. Il en trouve la cause dans le défaut de reproduction sexuée. La reproduction par bourgeonnement conserve les variations subies par l’individu ; puis de nouveaux bourgeons sont modifiés à leur tour par de nouvelles influences, et les variations s’accumulent ainsi, sans compensation, poussant l’être, que rien ne retient dans les limites du type, dans une voie de plus en plus aberrante. Seule la génération sexuée, en unissant deux organismes nécessairement très divers, compense leurs variations Les unes par les autres, neutralise leurs tendances aberrantes et maintient ainsi les formes spécifiques. Il ne serait donc pas étonnant que

  1. Voir sur ce point M. Giard, Thèse, 1873, p. 43 et 87-04 ; Huxley, Anatomie comparée des invertébrés, p. 8 ; les Colonies animales, pp. 62, 64, 67, 87, et nos Sociétés animales, p. 227, 259 et suiv.