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tives soient refusées non seulement à nos laboratoires, ce qui n’est que très naturel, mais à nos mers contemporaines, il y a loin de là à affirmer que, pour qu’ils apparussent, un hiatus a dû s’ouvrir dans le tissu des enchaînements mécaniques. L’humanité a été témoin depuis qu’elle observe de bien des commencements : toujours on a vu des changements d’abord insignifiants, à peine appréciables, donner lieu à des divergences, puis à des oppositions de plus en plus nettement tranchées. En l’absence de preuves directes, la probabilité la plus forte pour l’origine de la vie est en faveur des transformations lentes, qui sont le mode de naissance universellement observé dans tous les groupes de phénomènes donnés à l’expérience.

Les raisons qu’allègue M. Perrier pour établir qu’il y a eu à l’origine non du protoplasme, mais des protoplasmes divers, et que chacun d’eux a été « individualisé d’emblée » avec une forme et un volume déterminés, ne sont pas décisives. Lesquelles sont venues les premières, des masses protoplasmiques comme les bathybius ou des monères ? Ce sont les monères, dit-il, parce que d’abord les mouvements les plus complexes, dont le tourbillon vital est l’analogue, « ont précisément pour caractère de créer une sorte de personnalité à l’ensemble des molécules qu’ils entraînent. » Les atomes chimiques produits de ces mouvements complexes se sont formés avec des dimensions finies qui ne sont susceptibles que de faibles variations. En second lieu, les monères individuelles sont la règle, et les masses protoplasmiques sont l’exception. — Mais n’y a-t-il pas quelque inexactitude, en supposant surtout que le mouvement vital inaugure un mode nouveau de mouvement, à comparer les masses de composés albuminoïdes les moins différenciés aux atomes chimiques qui le sont le plus ? Et d’autre part, de ce que les monères paraissent les plus nombreuses actuellement, n’en peut-on pas conclure au contraire que leur prépondérance numérique est due à une complexité de structure supérieure, les masses gélatineuses sans forme définie et dépourvues de motilité supportant avec moins d’avantages les conditions nouvelles du milieu[1]. La théorie évolutionniste n’exige pas d’ailleurs que le protoplasme primitif ait eu partout la même composition : bien moins différencié que la matière vivante plus récente, il peut, il doit même avoir présenté dès le début sous l’influence de conditions non identiques des compositions et des aptitudes assez diverses. Ce qui est à l’origine, ce n’est pas, comme on le croit généralement, l’homogénéité absolue, mais l’hétérogénéité moindre. Bref, la question n’est pas aussi avancée que le croit M. Perrier, et la con-

  1. Cf. Colonies animales, p. 108.