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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

chose qu’un mode de mouvement soumis à des lois fixes, un tourbillon mécanique, il faut bien reconnaître en elle quelque chose de distinct des forces chimiques. « Entre les substances vivantes et les composés chimiques, il y a un hiatus manifeste ; la biologie n’est pas la suite de la chimie organique. » La matière vivante se nourrit, elle englobe dans sa substance certains corps de composition variable, s’assimile certaines de leurs parties, en rejette d’autres, sans cesse occupée à se faire et à se défaire, sans que l’équilibre toujours instable de sa structure soit un instant rompu. Elle est douée d’un mouvement propre, entièrement spontané, venant du dedans, dont la cause « ne peut guère se concevoir que comme une volonté obscure se déterminant sous l’action de stimulations extérieures et de vagues besoins qui supposent un rudiment de conscience. » Elle évolue ; sa durée comprend des phases diverses, spéciales à chaque sorte d’êtres en dehors de toute différence appréciable de composition chimique. Enfin elle est limitée dans sa masse et se subdivise dès qu’elle a dépassé un certain degré d’accroissement. Rien de pareil chez le cristal. Il ne faut pas s’étonner que le chimiste ne puisse la fabriquer, pas plus qu’il ne fait des atomes nouveaux. Les protoplasmes divers, souches de l’arbre de vie, ont été formés « une fois pour toutes ». « Dès le début, la somme des mouvements vitaux a atteint sur le globe son maximum. » Les uns se sont éteints, les autres se sont fortifiés par leur accord, mais rien n’a été changé dans le phénomène primitif. El est le fait d’une création, et cette création, comme celle de l’affinité, a eu son heure, passé laquelle aucun renouvellement d’une pareille œuvre n’est plus possible.

On saisit la portée de ces déclarations. Esprit très circonspect, M. Perrier s’est avancé graduellement vers la doctrine de l’évolution. Aujourd’hui, au moment où il lui apporte non seulement son adhésion, mais un appoint considérable d’arguments nouveaux, il estime qu’il convient de la restreindre au domaine de la vie. L’esprit général de son œuvre s’annonce donc dès le début ; ce n’est pas un travail purement biologique ; les tendances en sont ouvertement philosophiques, et le spiritualisme le plus formel y corrige, ce qui, paraît-il, est encore considéré chez nous comme une hardiesse, l’acceptation du transformisme.

Nous ne nous arrêterons pas à discuter cette partie tout hypothétique de son ouvrage. De ce qu’actuellement la matière vivante offre les différences que nous venons de signaler avec la matière inanimée, il ne s’ensuit nullement que l’intervalle n’ait jamais pu être franchi que par un saut. Admettons que les conditions sous lesquelles les protoplasmes se sont produits au sein des mers primi-