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A. ESPINAS. — études sociologiques en france

science zoologique le soin de répondre ultérieurement à cette question, dont la solution n’est pas mûre[1]. » C’est ainsi que, tout en prenant soin d’indiquer dans les lignes suivantes nos tendances favorables à la philosophie de l’évolution, nous étions contraints moins par les circonstances extérieures que par le défaut de preuves de poser le problème sans essayer de le résoudre. Les principes généraux de la biologie fécondée par la sociologie nous montraient là une terre promise ; l’état de la science, incomplète sous ce rapport (les travaux de Semper ont paru en 1877), et l’impuissance où nous étions de pousser plus avant les recherches par nous-même, nous interdisaient d’y entrer. Par là même, notre classification des diverses sortes d’unités morphologiques dans les régions inférieures du règne animal, ne pouvant suivre d’assez près la liaison génétique des êtres, était condamnée à ne plus offrir qu’un ensemble de vues théoriques plus ou moins satisfaisantes pour l’esprit, mais mal d’accord avec l’extrême variété des choses. Nous le savions ; mais nous savions aussi que cette tentative, embryon voué à l’avortement, était nécessaire pour rattacher les associations biologiques aux sociétés supérieures, et nous n’avons pas hésité à en courir le risque. Nous ne le regrettons pas. Nous voilà dépassé : c’est donc que nous étions sur la bonne route. On ne nous nomme pas[2], qu’importe, si l’on nous suit ? ce n’est pas un mauvais signe pour les idées que de devenir vite impersonnelles. Et nous réclamons pour la philosophie, tenue jusqu’ici, et avec raison peut-être, en si petite estime par les savants, le bénéfice de notre priorité. Prenez garde, nous disait charitablement notre maître, M. Janet, outre que vous humiliez la philosophie devant la science, vous courez risque d’être mal reçu par les savants ; ce sont gens fort ombrageux, qui ne souffrent pas qu’on s’aventure sur leur terrain. La rencontre actuelle n’est pas faite pour nous décourager, et les occasions ne nous ont pas manqué d’ailleurs de constater que les biologistes font l’accueil le plus courtois[3] aux philosophes et à leurs généralisations, pourvu que les philosophes s’efforcent d’être au courant de la science et que leurs hypothèses aillent au devant du contrôle indispensable des faits. Si c’est là asservir la philosophie

  1. Pp.  267, 268 ; voir encore pp. 91, 92, 215, 218 et 248. « Le dernier terme de la délégation du travail dans l’ordre des sociétés que nous étudions en ce moment, à savoir les sociétés de nutrition (blastodèmes), c’est le cerveau des mammifères supérieurs. »
  2. M. Perrier n’a cité de nous qu’une heureuse expression. Dans sa préface il nomme Dugés (1831) comme l’unique promoteur de la théorie qu’il va soutenir. Nous ne comprenons pas qu’il ait omis M. Durand de Gros (Les origines animales de l’homme, Baillière, 1871).
  3. Cf. Milne Edwards, Leçons de physiologie, vol. XIV.