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cette vue aux vertébrés, comme le veulent Semper en Allemagne, Carpenter en Angleterre, Durand de Gros en France. L’illustre Lacaze-Duthiers combattait il y a peu d’années cette assimilation fondée sur tant d’analogies. Et du reste ceux mêmes qui l’admettent seraient fort embarrassés de dire où commencent, où finissent les « segments » des vertébrés supérieurs, à quel segment appartient tel ou tel de leur viscères, si les organes doivent continuer à être regardés comme individuels, ou les appareils, ou les tisus, ou les seuls éléments anatomiques. Leur embarras ne serait pas moindre en présence des animaux inférieurs, dont certaines parties ont des fonctions d’organes et des formes d’individus, comme c’est le cas chez les polypes hydraires, ou comme on le voit chez les ascidies, où les cloaques jouent le rôle d’individus céphaliques sans en avoir ni la figure ni la valeur effective. Toute cette partie de la science, malgré les travaux de Giard sur les ascidies, malgré les efforts de Hæckel et de Jæger pour établir une classification des individualités, est dans un certain état de confusion.

C’est que personne n’a encore poursuivi dans le détail la formation des unités organiques. La doctrine de l’évolution affirme que les formes supérieures de la vie sont dérivées par voie de groupement des formes élémentaires, et elle trace en tâtonnant, il faut bien le dire, et en gros, l’histoire de ces transformations. Mais elle aura obtenu un avantage décisif le jour où elle-sera capable de montrer par le menu comment les éléments cellulaires se groupent pour former des agrégats de plus en plus complexes d’un bout à l’autre de la série zoologique. C’est sous cette forme que le problème de l’individualité nous était apparu. Parmi les trois sortes de groupements sociaux que nous avions reconnus figuraient au premier rang les sociétés de nutrition, ou blastodèmes, qui, en se groupant à leur tour, constituaient les sociétés familiales, éléments ultérieurs des sociétés politiques. Ces blastodèmes se divisaient pour nous en deux classes, d’abord ceux dont les éléments, vraies cellules plus ou moins différenciées, sont unis par simple accolement, à savoir les infusoires sociaux, ensuite ceux dont les éléments composants, déjà composés eux-mêmes, sont unis par des communications vasculaires et baignés intérieurement des mêmes liquides, à savoir les polypes, les molluscoïdes et les vers. Nous nous arrêtions aux arthropodes. « Faut-il considérer, disions-nous, le corps des poissons, des reptiles, des oiseaux et des mammifères comme un blastodème métamérique, c’est-à-dire comme une société composée de zoonites très différenciés et très intimement unis, lesquels à leur tour seraient composés d’organes et ceux-ci d’éléments histologiques ou plastides ? Nous laissons à la