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une table rase, et cet état doit servir de point de départ à toute philosophie sérieuse. Dans la vie collective de l’humanité, ce moment est représenté par la période qui commence à Locke et finit à Kant. Elle est résumée par Auguste Comte.

Il est naturel que cet état de tabula rase, auquel l’Europe occidentale est arrivée après des efforts de critique, présente une affinité avec un état semblable, même s’il n’est pas résultat de la civilisation, mais un produit naturel, c’est-à-dire l’état de conscience d’une nation qui n’a pas encore eu d’histoire. Il est donc naturel que dans l’école d’Auguste Comte un Russe, M. Wyroubof, ait pris une position éminente.

Probablement les mêmes circonstances, qui chez les esprits cultivés favorisent l’acceptation et le développement de la critique moderne, négative ou positive, produisent dans les bas-fonds cet état inconcevable en Europe occidentale, qui s’appelle nihilisme.

Les noms ont aussi leur philosophie. Comme le livre dont nous entretenons le lecteur est écrit en langue russe, mais écrit par un Polonais, il serait intéressant de savoir au juste à quel parti il appartient.

L’auteur doit être professeur de philosophie, et Auguste Comte, dont l’importance consiste principalement à être une réaction contre la philosophie officielle de la Restauration et de la monarchie de Juillet, ne peut être jugé équitablement par un personnage ayant une position officielle : à Varsovie probablement moins qu’ailleurs. Auguste Comte, qui résume si bien la pensée du xviiie siècle, partage avec lui le défaut de ne pas comprendre suffisamment l’évolution historique qui produit la civilisation et sa différence avec l’évolution biologique. Comme le malentendu séculaire qui divise la première nation historique slave et le plus puissant État de la même race est causé par une erreur analogue, M. Smolikowski devait être aussi embarrassé dans l’exposition de la doctrine d’Auguste Comte que dans sa critique,

Le livre est cependant exempt de tout esprit dogmatique. Le principal défaut est le manque d’originalité.

Nous ne nous étonnons du reste pas d’une certaine étroitesse de vues chez l’auteur. L’histoire du positivisme, comme phénomène capital dans l’histoire de la pensée du xixe siècle, reste encore à faire.

J. Descours de Tournoy.

N. Grote. (Yestche po povodie psychologii ťchoustvovania.) Encore à propos de la question de la psychologie des sentiments. Kiev, 1881.

L’auteur a publié dans la Revue philosophique une « Classification des sentiments » et nous avons mentionné en son temps son livre sur la « Psychologie de la sensibilité ». Cette nouvelle publication est la réponse à une critique de M. Koslof, professeur à l’université de Kiev,