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ANALYSES. — APPEL. La science du langage.

crois que des recherches personnelles publiées dans des monographies spéciales seraient son domaine naturel. Mais chacun a les défauts de ses qualités et les lecteurs examineront mieux sans doute les imperfections du livre de M. Appel dues au feu sacré qui l’anime que les irréprochables élucubrations des médiocrités.

L’auteur doit être très jeune. Je le présume à cause du défaut d’économie de son ouvrage, dû sans doute à son inexpérience, et à cause de son enthousiasme non seulement pour la science du langage, mais pour la science en général et pour ses derniers résultats. Cet enthousiasme le porte à des généralisations qui embrassent trop et dépassent le but. Un des titres de gloire de Darwin est d’avoir écarté les explications par causes finales des sciences naturelles. M. Appel est convaincu que la science du langage est non seulement une science naturelle, mais en même temps une science dépendant de l’histoire. Dans cette dernière, l’exclusion d’une finalité immanente conduit à des idées superficielles, mesquines et fausses, comme son admission dans les sciences naturelles réduit ces dernières à l’histoire des caprices du Créateur. Un vaudevilliste peut bien prétendre que la paix de Munster fut causée par la chute d’un verre d’eau, ou un journaliste que la guerre de 1870 fut causée par l’ambition d’un puiné princier sans apanage ; mais leurs explications donnent une idée très fausse des grands drames d’histoire. Dans la science du langage, je crois qu’il n’y aurait aucun mal à vouloir s’expliquer certains phénomènes du langage par la tendance à faciliter la prononciation[1], parce que, dans ces phénomènes, il ne s’agit plus des forces aveugles de la nature, mais de la volonté humaine, qui est quelquefois consciente, et intelligente presque toujours.

L’intérêt du livre ne vient pas seulement du talent de l’auteur, mais aussi des renseignements qu’il donne sur le mouvement scientifique da monde slave, très intense, à ce qu’il paraît, en cette matière,

J. Descours de Tournoy.

  1. Les langues slaves ont un r mouillé dont il n’est possible de donner une idée en français qu’en écrivant le mot riéka, le fleuve. Cet r mouillé slave, en polonais a la prononciation de je et s’écrira rze ; le fleuve n’est plus riéka, mais rzeka (géka), en polonais. Il est difficile d’expliquer ce phénomène autrement que par la tendance à faciliter la prononciation.