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tous les cas où l’observation directe fait défaut, C’est d’elle, dit M. Appel, que nous attendons l’éclaircissement de beaucoup de phénomènes du langage. Pour développer cette opinion, M. Appel rapporte beaucoup de faits empruntés aux ouvrages de Falret, Lépine, Onimus, Ribot et une monographie de Mlle Skworzoff[1].

Malheureusement les conclusions de M. Appel ne tiennent pas toujours à la science du langage. Il se perd quelquefois dans les généralités psychologiques, physiologiques, anatomiques. Il s’en sert notamment pour exposer l’hypothèse de M. Stricker[2], qui admet des centres spéciaux pour chaque son, non comme impression auditive, mais comme impression d’articulation, du mouvement et de la coordination des mouvements nécessaires pour produire le son. Non seulement la production du discours dépend de ces centres, mais l’idéation et l’intelligence du discours des autres en dépend aussi. La prononciation de chaque mot est accompagnée par une sensation dans l’organe de la parole mis en jeu. Cette sensation est surtout remarquable au commencement du discours, et M. Stricker lui donne le nom d’impression initiale.

La vérité de cette hypothèse est prouvée par cette circonstance que l’aphasie et l’agraphie ont surtout lieu avec la paralysie des centres moteurs. Les idées sur la mémoire comme faculté de la reproduction des actes psychiques, représentatifs, sensitifs, aussi bien que des mouvements qui tendent toujours à se produire sans conscience expliquent parfaitement cette hypothèse. Il se peut bien que l’usage modifie les organes uniquement selon ces fonctions, c’est-à-dire pour faciliter les relations du centre moteur avec les centres sensoriels visuels auditifs. Dans notre système d’écriture, les mots écrits n’ont pas l’importance des idées, mais seulement des sons, et il y a triple association, sons, idées, et mouvements, et encore formes, idées, sons et mouvements.

M. Appel applique cette hypothèse d’une manière très ingénieuse aux phénomènes du langage. Il y réussit très bien. J’avoue n’avoir pas compris à la première lecture ce que veut dire l’association, l’adidéation, l’arradication, l’analogie, le déplacement des liens morphologiques, tandis que l’application de l’hypothèse de M. Stricker me les a rendus tout à fait clairs et m’a aidé beaucoup dans l’exposition de ce travail.

Le livre se fait lire avec un intérêt toujours croissant, ce qui est beaucoup pour un ouvrage traitant d’une science aussi aride que la science du langage. L’auteur à le talent de communiquer au lecteur l’intérêt qu’il porte à l’objet de son étude. Mais cet intérêt même lui empêche quelquefois d’exposer ses résultats avec assez de calme. Je

  1. La cécité et la surdité des mots dans l’aphasie. Paris, 1881.
  2. Studien über die Sprachvorstellungen. Vienne, 1880.