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de la doctrine des associations indissolubles, sinon que tout ce qui existe dans la pensée comme dans le monde s’est produit et se développe au cours du temps ? Interprétée de la sorte, la psychologie évolutioniste serait admissible en entier, à la seule condition de placer la spontanéité au point de départ sous une forme quelconque. Ce minimum initial d’activité personnelle, l’esprit du système ne permet pas qu’on le concède, mais ne supplée pas à son défaut : ex nihilo nihil.

Nous distinguons donc, ou plutôt nous apercevons en toute connaissance, sans réussir toujours à les isoler, un élément a priori et un élément expérimental. Nous discernons ces deux éléments dans l’idée de la morale, qui est l’obligation d’agir conformément à la juste conception du monde. Nous les discernons dans la conception du monde elle-même.

Pour déterminer son devoir dans une situation donnée, l’individu devrait connaître exactement les circonstances du temps et du lieu. L’idéal absolu, qu’il ne saurait perdre de vue, se particularise suivant les données modifiables, et se limite en raison de celles qu’il ne peut changer. Pour comprendre les devoirs généraux et permanents d’un membre quelconque d’une société donnée, de l’habitant d’un certain pays, de l’homme au milieu d’une civilisation particulière, il faudrait connaître les besoins, les défauts, les nécessités, les conditions d’existence de cette société, de ce pays et de cette civilisation. L’idéal est toujours identique ; mais il ne s’agit pas de le porter en soi sans en faire usage : dès qu’il s’agit de le traduire en faits, d’agir au dehors ou sur soi-même, de changer ou de conserver ce qui existe ; il faut adapter son action aux circonstances, par conséquent il faut connaître celles-ci.

Pour concevoir l’idéal lui-même, pour marquer le but ou les buts à poursuivre, pour tracer les règles d’une morale autant que possible universelle, mais sérieuse, positive, applicable sans arbitraire et sans contradiction ; il faut connaître l’homme et les conditions immuables de son habitation sur la terre. Il résulte manifestement de là que la morale ne sera jamais universelle, sinon dans un sens très relatif, et qu’elle devra se borner à des préceptes tout à fait généraux. La parfaite science du devoir supposerait la parfaite science du monde, terme inaccessible de sa nature, puisque le monde change toujours.

Enfin, pour découvrir le principe dont tous les préceptes de cette morale doivent être des applications et des corollaires, pour justifier ce principe devant la raison ; il faut que notre idée de nous-même et du monde se formule en une proposition vérifiable, où se résume la